Dimanche, je me rendrai dans l’isoloir en trainant des pieds


Ou pas.

Merde, vous voyez, juste le fait de l’écrire et me voici qui replonge dans l’hésitation.

Allez, je vais tenter d’aller jusqu’au bout de ce que j’ai à dire.  Sans trembler.  Sans reculer.  Sans renoncer.  Le fait de le coucher sur le papier, ou sur l’écran de mon ordi, me permettra de mieux structurer mon raisonnement et de là, de valider ma décision.   C’est également une manière de m’auto-contraindre.  Une fois écrit, comment pourrais-je en effet me renier?  Je suis conscient que les élucubrations personnelles qui suivent peuvent ne pas intéresser grand monde.  Je ne m’offusquerai donc pas si certains préfèrent retourner au passionnant grand-débat-d-entre-les-deux-tours, comme il est maintenant convenu de nommer le rituel qui se tient en ce moment même sur l’autel cathodique, devant des millions de télé-fidèles.  Pourquoi le premier candidat a-t-il choisi une cravate de couleur bleue marine et pourquoi l’autre en a-t-il plutôt choisie une de couleur … bleue marine, est-ce que les fauteuils dans lesquels trônent et pérorent nos 2 impétrants étaient à la bonne hauteur, est-ce que la température était plutôt proche de 19° ou plutôt de 20°, quelle petite phrase assassine et savamment préparée marquera l’histoire de ce cru 2012, … Voilà les questions de fond sur lesquelles plancheront ensuite les politologues et communicants avertis (mais y a-t-il une différence?) qui pullulent dans notre presse, écrite et audiovisuelle, afin de nous éclairer le chemin vers la lumière de la décision.  Ils appellent ça un « décryptage ».

Bref, pour ma part, je tenais donc à « décrypter », pour ceux que ça intéresse,  la position je j’allais bien pouvoir adopter pour ce second tour de l’élection présidentielle:  abstention, l’abstention offensive s’entend ;-), comme je me l’étais promis et comme tous mes sens me poussent à le faire ou … l’autre, le mou, le bouchon de liège, la feuille morte, le capitaine de pédalo.

Voici.

Finalement, après de très longs moments de solitude et d’intenses réflexions, ce dimanche 6 mai, je vais donc probablement me résoudre à me déplacer, à me rendre dans mon bureau de vote favori (celui qui m’est assigné ;-)), à y choisir un bulletin de vote non blanc, un bulletin portant un véritable nom, un nom évoquant les moulins, les fromages, les tulipes et l’orange (la couleur hein, pas le fruit!), un nom autre que celui de l’infâme, de l’abject, du sordide, de l’ordurier, du méprisable, de l’odieux président sortant, N. Sarkozy, en prenant garde de ne pas l’annoter, ce bulletin, de ne pas le raturer, le corner ou le rendre nul de quelque manière que ce soit, et à le déposer d’une main hésitante, dans l’urne transparente gardée par le regard triste de la Marianne de marbre planquée sur la plus haute étagère de la salle du conseil et le regard torve des probables adeptes de la Marine faisant office d’assesseurs du jour.

Il n’est nul besoin de rappeler, j’espère, qu’il ne s’agit d’aucune façon d’un quelconque vote d’adhésion au programme, aux idées ou à la personnalité du candidat socialiste.  Brrr.  Dieu (vous voyez que je divague totalement :-D) m’en garde. On est très loin du « Dimanche, je me rendrai dans l’isoloir avec enthousiasme » du 1er tour.

Bien sûr, pour être honnête, au milieu de l’océan des excellentes raisons de ne pas voter pour ce social-libéral de Hollande, il y a bien quelques menues mesures que je considère comme des avancées et dont je suis donc preneur.  Une tranche d’impôts à 75% pour les revenus supérieurs à 1 000 000 €.  L’assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité (ou l’euthanasie pour raccourcir … la phrase).  Le renforcement de la loi SRU.  Le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels.  L’écart maximal de rémunérations de 1 à 20 dans les entreprises publiques (c’est un commencement).  Le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans.  … Euh … Ben voilà, je crois que j’ai fait le tour.  Ça fait pas bézèf, hein!  Mais ça pourrait toujours être ça de pris.  Encore faudrait-il que ces promesses soient tenues.  Ce qui est loin d’être acquis.

Mais, quoi qu’il en soit, ce n’est pas ce qui m’a convaincu.  On connait trop bien l’animal, toute la ménagerie socialiste d’ailleurs, pour se laisser encore avoir par leurs roucoulements, si ténues et timides soient-ils.  Et comme je l’expliquais dès le lendemain du 1er tour, je le répète, je ne crois pas du tout au fait que Hollande, ou le parti socialiste, ou n’importe lequel des partis sociaux-démocrates européens soient nos alliés.  En ce qui me concerne, Hollande, ce n’est pas « mon camp », celui de la gauche.  Sa défaite ne serait pas la mienne.

En parallèle, bien évidemment, il y a une infinité de très bonnes raisons de faire perdre Sarkozy.  Dont la moindre n’est certainement pas l’immense, l’indescriptible, l’extatique plaisir que me procurerait la vision de ce misérable apprenti fasciste poursuivi, condamné et emprisonné pour chacune des sombres affaires dans lesquelles il est soupçonné d’avoir trempé (Karachi, Lybie, Bettencourt).  Encore faudrait-il que la justice aille réellement jusqu’au bout.  Ce qui est loin d’être acquis.

Mais là encore, cet argument, ou cet océan d’arguments, n’a pas entièrement suffi à emporter ma décision (c’est vous dire à quel point j’en veux aux socialistes ;-))

Non, à ce niveau-là de rejet, pour l’un et pour l’autre des deux candidats, seul pouvait me décider un raisonnement stratégique sur le long terme.  Il me fallait répondre à cette question: avec lequel de ces deux candidats à l’Élysée pendant 5 ans serait-il le moins difficile de faire avancer les véritables idées de gauche auprès des français (voire des européens, en étant optimiste)?  Si la réponse était « aucune différence à mes yeux », je devais opter pour l’abstention, si la réponse était « Sarkozy », je devais … m’abstenir également (faut quand même pas déconner), mais si la réponse était Hollande, alors là, je devais faire l’effort de voter pour lui.  Car, quel que soit le président élu, mon objectif principal demeurera dans les mois et les années à venir, ce qu’il a toujours été, faire valoir l’identité, la spécificité, l’originalité, la radicalité, l’humanité et le réalisme des véritables idées de gauche, portées aujourd’hui par le Front de Gauche, par opposition avec la bouillie socialiste (avec des vrais morceaux de néolibéralisme dedans).

Il suffit de regarder la campagne qui vient de s’achever pour se rendre compte que ce sera pratiquement tâche impossible si Sarkozy était réélu.  Comptons en effet, malheureusement, sur les fidèles Lassie du système pour refaire exactement en 2017 le même magnifique boulot de simplification, d’amalgame, d’ostracisation, de caricature, de dénigrement, de déformation, de propagande qu’en 2012 afin de solidement ancrer dans le cerveau de nos concitoyens l’idée saugrenue selon laquelle le Front de Gauche serait juste un enfant caché de la famille socialiste, un enfant hyperactif et rêveur mais qui rentre docilement manger sa soupe le soir venu.

D’un autre côté, ce qui me parait malheureusement le plus vraisemblable, si c’est Hollande qui est élu, c’est l’avènement en 2017, une fois encore, du syndrome « qui sème la sociale-démocratie récolte la droite réactionnaire » en France.  C’est à dire l’avènement de la Pen et du malheur.  D’où mon refus, jusqu’à aujourd’hui, de voter Hollande.  Mais, et c’est là où j’ai évolué, si le Front de Gauche parvient à conserver réellement, en face d’un gouvernement social-démocrate soumis à la loi de la finance internationale, sa radicalité indépendante pendant tout le quinquennat du capitaine de pédalo, alors effectivement, oui, je veux bien croire que peut-être alors, nous pourrons faire passer nos idées.  Cela passe obligatoirement par un comportement et une déontologie irréprochable de tous les acteurs du Front de Gauche, pendant toute la durée du quinquennat:

  • bien sûr,  aucun ministre Front de Gauche dans le gouvernement social-démocrate,
  • aucune tractation ou accord pour les élections législatives qui arrivent (sauf éventuellement pour les quelques circonscriptions dans lesquelles existent un risque de 2ème tour UMP-FN),
  • indépendance totale des députés Front de Gauche à l’Assemblée Nationale (si quelques députés réussissent à se faire élire) et respect intégral des positions défendues dans l’Humain d’abord,
  • ce qui implique le devoir de voter CONTRE beaucoup des projets de loi que le futur gouvernement socialiste présentera à l’Assemblée (attention à ne pas manier, le principe cher à nos courageux socialistes d’ « abstention offensive« ),
  • même comportement indépendant des eurodéputés à Bruxelles
  • en gros, se situer la plupart du temps dans l’opposition

C’est à ces conditions, et uniquement en respectant strictement ces conditions, que l’idée d’une véritable politique de gauche pourrait éventuellement être reconnue, différenciée, et pourquoi pas appréciée, voire plébiscitée, par les français.

En conséquence de quoi, dans ces conditions, et dans ces conditions uniquement, M. Mélenchon, je crois que je peux faire l’effort de vous suivre sur ce coup-là.  Enfin, pas complètement, non plus.  Faut pas exagérer ;-).  Voici en effet ce que vous demandiez au soir du premier tour:

« Je vous appelle à vous retrouver le six mai – sans rien demander en échange ! – le six mai, pour battre Sarkozy !
Je vous demande de ne pas traîner les pieds, je vous demande de vous mobiliser comme s’il s’agissait de me faire gagner moi-même l’élection présidentielle. »

Ma décision est prise, et c’est déjà énorme:

« Ce sera en trainant bien évidemment très longuement des pieds, mais …
d’accord, dimanche 6 mai, je me rendrai dans l’isoloir pour battre Sarkozy . »

(Ou pas ? ;-))

7 Replies to “Dimanche, je me rendrai dans l’isoloir en trainant des pieds”

  1. Une dernière petite chose quand même : je viens de recevoir un courriel du PG local qui doit démentir l’utilisation par le PS de Valenciennes, dans un tract, du logo FRONT DE GAUCHE : la récupération est déjà en place…
    Depuis la SFIO je devrais avoir l’habitude, mais je n’arrive pas à me faire à la traitrise (UMP ou PS)
    Bon je me tais!
    A après dimanche

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  2. @Yveline
    Faut que j’arrête de vous lire, sinon je risque de revenir à ma première décision tellement je suis en accord avec tout ce que vos dites 😉 : « Je ne peux même trainer les pieds: ils sont pris dans le béton – de Bouygues bien sûr » 😀
    A bientôt amie

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  3. Ce n’était pas du tout une volée de bois vert (même tendre), ça se voulait un clin d’oeil au compagnon de campagne. J’ai beaucoup apprécié le blog, souvent été totalement d’accord et je ne voulais pas laisser son auteur ( talentueux) seul avec son dilemne. Mais quelque soit les choix de chacun dimanche,on continuera ensemble!
    En ce qui me concerne, pour voter Hollande dimanche, il aurait fallu que je m’exile sur une île déserte. Depuis Vals aux commandes, en passant par un « programme à prendre ou à laisser »; un hommage du 1° mai à Bérégovoy (pilier du virage à 180° de Mitterrand et repreneur du début de la réforme des retraites instillée par Balladur) ; une fin de campagne avec Jospin (liquidateur en chef des services publics et pilier de l’Europe ultra-libérale); jusqu’au ralliement de Bayrou : le « changement » slogan de Hollande est autant au-dessous de mes besoins que la simple évacuation de Sarko. Je ne peux même trainer les pieds: ils sont pris dans le béton (de Bouygues bien sûr )
    Ce n’est pas un manque de confiance en Jean Luc Mélenchon , c’est un refus de choisir entre une droite décomplexée et une droite si complexée qu’elle avance cachée sous le masque d’une sois-disant gauche.
    Nos choix seront issus de notre réflexion; merci pour les débats
    A bientôt pour les continuer

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  4. Perso , je vais aussi m’auto contraindre et faire « confiance » a JLM … Malgré des années a ne pas aller coter pour le PS , je veux participer a l’ejection de N. Sarkozy, il est vraiment trop nuisible a ce pays .. Je ne peux pas rester en marge !!
    Ydaho

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  5. Oulala, quelle volée (sympathique tout de même, je le reconnais bien volontiers) de bois (tendre) vert depuis depuis que j’ai écrit ce billet.

    Lorette, Yveline, vous savez, je vous comprends d’autant mieux que c’était ma position jusqu’à il y a encore quelques jours. Et, vous me croirez ou pas, pour tenter de m’y tenir, j’évite même de tomber sur des propos ou une interview du candidat socialiste à la télé ou dans les journaux, et ce jusqu’à dimanche. Je suis pratiquement persuadé que cela me ferait rechanger d’avis immédiatement.

    Je suis d’accord avec vos arguments:

    Lorette qui dit « JL Mélenchon a aussi dit à plusieurs reprises, s’adressant à Hollandréou, que c’était à lui de nous convaincre d’aller voter pour lui… et, non, décidément, il ne m’a pas convaincue. »
    Pareil

    Et Yveline qui dit « le vote contre n’existe que jusqu’au moment où on arrive devant l’urne qui lave plus blanc : dès qu’il y est introduit il devient vote d’adhésion, peut être même vote d’adhérence »
    C’est effectivement la manière dont Hollande va probablement pontifier dimanche soir en s’attribuant le « mérite » du nombre de voix qu’il va obtenir.

    Mais, je pense que vous l’aurez compris, je n’abdique sur rien du tout, et ne m’embarque sur aucun pédalo ;-). Je continue la résistance. J’espère juste qu’elle sera un peu plus audible avec le social-démocrate à l’Élysée.

    A bientôt.

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  6. Eh bien en ce qui me concerne, je n’irai pas trainer les pieds : le vote contre, ça n’existe pas ; ou alors je ne l’ai jamais rencontré! Et pourtant, ça fait des lustres que je pensais le pratiquer…même le vote-contresarkozy que j’ai déjà sensemment utilisé deux fois (même que les socialistes ces deux fois là n’ont pas tous voté pour leur candidate!) En fait le vote contre n’existe que jusqu’au moment où on arrive devant l’urne qui lave plus blanc : dès qu’il y est introduit il devient vote d’adhésion, peut être même vote d’adhérence
    Je ne lâche rien ; je continue à résister je ne serai pas longtemps seule
    A bientôt : on se retrouvera ( peut-être au FdG) quand vous serez tombé du pédalo
    Salut et fraternité

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  7. J’ai trouvé bien intéressantes vos analyses, les comparaisons entre les programmes, et tout le blog en général…
    Je comprends votre choix, et votre argumentation… , c’est d’ailleurs peut-être la seule qui me ferait pencher pour ce choix, mais JL Mélenchon a aussi dit à plusieurs reprises, s’adressant à Hollandréou, que c’était à lui de nous convaincre d’aller voter pour lui… et, non, décidément, il ne m’a pas convaincue. Et il aura du mal à le faire d’ici dimanche. Donc, non, je n’irai pas voter dimanche prochain. Lorette

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