Bientôt les douze coups de minuit.
Les temps sombres sont revenus. La nuit nous engloutit. Comme je le disais au lendemain du premier tour des départementales, je ne vois plus rien de gauche dans notre jardin (à part quelques excités vitupérant inutilement dans le potager, comme votre serviteur).
Nous sommes au lendemain du second tour. Le peuple s’est exprimé. Nous nous sommes exprimés. Clairement. Et nous voulons d’avantage de droite ! D’avantage de rien-à-branler-après-moi-le-déluge abstentioniste, d’avantage de haine FNiste de l’étranger basané (ou barbu, mais c’est la même chose nan?), d’avantage de haine UMPiste de « l’assisté » (ou du non-entrepreneur, mais c’est la même chose nan?), d’avantage de dogme néolibéral estampillé « socialiste ».
Gageons que nous serons bientôt comblés, nous, ce peuple de désintérêt général, de vide idéologique, de rien médiatique. Nous allons être servis, nous, ce peuple de compétition mortifère, de cancer individualiste, de sclérose identitaire.
Dans un premier temps, et en attendant goulument l’avènement de la droite extrême, qu’elle soit sarkoziste ou mariniste, nous allons avoir droit gracieusement à un nouveau tour de vis libéral européiste. Manuel Valls l’a annoncé fièrement, droit dans ses bottes, dès 20h dimanche soir dernier. En même temps, reconnaissons qu’il ne prend personne en traitre puisqu’il avait prévenu avant même l’avènement de la débâcle attendue :
« ceux qui pensent que nous allons freiner ou stopper les réformes se trompent. Quel que soit le résultat des élections, nous allons les poursuivre en ouvrant de nouveaux chantiers. Nous n’avons pas d’autres choix pour le pays que de faire sauter les verrous et débloquer les énergies ».
On connait d’ailleurs d’ores et déjà les « nouveaux chantiers », les futures cibles de Manuel Valls, puisqu’elles nous sont imposées par Juncker et Merkel : le contrat de travail et … les assistés … oups pardon … je veux dire les chômeurs, dont il faut absolument réduire les indemnisations, façon lois Hartz.
Attendons-nous donc, en tentant de contenir notre avidité bien naturelle, à un nouvel aréopage de mesures régressives à souhait, un point d’orgue venant soutenir une œuvre austéritaire « socialiste » déjà conséquente, œuvre que ne désavoueraient pas, soyons honnêtes, et quoi qu’ils puissent en dire par ailleurs pour tenter de se différencier idéologiquement, un Sarkozy ou un Juppé. Pour patienter nous pourrons toujours nous délecter de l’adoption définitive prochaine de la loi Macron, hourra !
Martine Bulard, dans l’édition d’avril du Monde Diplo, en fait une synthèse tout à fait magistrale, de cette loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » du ministre de l’économie Emmanuel Macron. Il faut absolument aller la lire si vous le pouvez (si vous êtes abonné, ou si vous avez les moyens de vous abonner). Elle entre moins dans les détails que beaucoup d’autres analyses, plus austères, voire rébarbatives, que j’ai pu lire. Faut dire que nous parlons là d’un inventaire à la Prévert de 295 articles touche-à-tout, un bric-à-brac néolibéral qui a suscité l’enthousiasme de la toute puissante Angela Merkel, planificateur en chez de la misère européenne de l’autre côté du Rhin, et qui a enthousiasmé jusqu’au président de la Commission européenne, et grand organisateur de fraude fiscale à ses heures perdues, Jean-Claude Juncker. C’est dire si cette loi devrait combler tous nos aficionados de droite dure.
Afin d’en faciliter sa compréhension (et par conséquent sa mémorisation), l’article du Diplo ne retient que quelques exemples très significatifs des mesures imposées par cette loi du « Toujours moins » en les regroupant en cinq grandes catégories :
- les droits sociaux et syndicaux,
- le temps de travail,
- les privatisations,
- les déréglementations
- et la centralisation technocratique.
Un travail remarquable. (Je trouve d’ailleurs que le Diplo devrait être remboursé par la sécu. Un remède préventif indispensable pour une meilleure santé intellectuelle, contre les agressions incessantes des germes de la propagande médiatique.)
Contre toute cette merde régressive, quatre de nos syndicats (CGT, FO, Solidaires et FSU) lancent donc un appel à la grève pour le 9 avril. Il est prévu des manifestations dans toute la France. La manifestation parisienne est à 13h, Place d’Italie :

Malheureusement, ce ne sont pas des chefs d’État et de gouvernement de pays voyous, terroristes, va-t-en-guerre et criminels qui appellent à manifester. Non, ce ne sont que ces insupportables syndicats. Ces gens pas fréquentables, dont on a honte et qu’il faut dénigrer en permanence. Ces gens qui, pourtant, même selon une étude déviante de deux économistes bolchéviques du FMI, Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron, permettent de réduire, ou tout au moins de maintenir, l’augmentation des inégalités. Cette étude établit en effet, pour ceux, nombreux qui en doutaient encore, « un lien indiscutable entre l’érosion du syndicalisme et l’augmentation des inégalités » :

À ma connaissance, seuls, encore une fois, le Diplo et le Figaro, (eh, je n’vais pas jusqu’à demander que le Figaro soit aussi remboursé par la sécu, mais reconnaissons-leur quand même cette honnêteté-là) ont commenté cette étude à contre-courant de l’idée largement répandue dans les pays les plus riches (et particulièrement en France et parmi mes amis), selon laquelle les syndicats de salariés seraient coupables des blocages sur le marché du travail et de l’accroissement du chômage. Eh bien, selon le FMI, cette « hypothèse [n’est pas] pas très solide ». Merci donc à M. Halimi pour cet (malheureusement toujours nécessaire) éloge des syndicats.
Le 9 avril, une manifestation est donc organisée à Paris :

Malheureusement, il ne s’agira pas d’aller défiler contre un prétendu ennemi barbu en pleine guerre civilisationnelle. Non, il s’agira tout connement de manifester contre le véritable ennemi du salarié, la nouvelle loi Macron, qui permettra, par exemple (en ne reprenant qu’un seul des nombreux exemples édifiants listés par Martine Bulard) qu’un employeur voulant réduire le paiement des heures supplémentaires signe une convention avec un salarié « volontaire » pour qu’elle s’applique sans recours possible », un glissement irrémédiable « vers une justice à l’américaine où aucun code spécifique du travail n’existe au niveau national, les relations patrons-salariés relevant de la procédure civile ».
Malheureusement, il ne s’agira pas de défiler pour défendre le droit de libertaires tout justes post-pubères (à plus de cinquante ans!) à dessiner un musulman à genoux les couilles pendantes et une étoile sur l’anus ou sœur Thérésa en train de faire des pipes à la queue leu-leu (si j’ose dire). Non, il s’agira juste, plus prosaïquement, de défendre les droits des salariés contre la trentaine de dispositions nouvelles sur le travail (art. 71 à 82 bis de la loi Macron) pérennisant le « Travailler plus pour gagner et protéger moins ». Manifester contre par exemple l’article 102 qui permettra que le jugement d’un tribunal administratif refusant un licenciement injustifié « ne modifie pas la validité du licenciement [et] ne donne pas lieu au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur » , c’est à dire qui permettra que le salarié injustement jeté dehors ne puisse pas être ni réintégré ni indemnisé !
Malheureusement, il ne s’agira pas d’aller défendre le droit des journalistes à militer pour lancer une guerre otanesque contre la Russie en Ukraine. Non, plus benoitement, il s’agira juste de défendre nos bijoux de famille dont la loi Macron intensifie le bradage dans de vastes opérations qu’on n’appelle plus, quand on est moderne, « privatisations » mais « transferts au secteur privé » ou encore « opérations sur le capital des sociétés à participation publique ». Manifester contre par exemple l’article 51 qui précise les conditions dans lesquelles la SNCF pourra investir, sans jamais faire mention d’aucun critère d’utilité ni de service au public ! L’investissement dépendra du seul ratio « endettement/marge opérationnelle », autrement dit du profit attendu.
Malheureusement, il ne s’agira pas de défendre le droit de Lagardère, Elkabbach, Dassault, Pujadas, Calvi, Bouygues, Joffrin, BHL et consorts à bâillonner la pluralité (et donc la liberté) de la presse, mais, plus communément, de défendre notre démocratie piétinée contre la dérive autoritaire. Manifester par exemple contre l’article 85 qui autorisera le gouvernement « à prendre par ordonnance (…) les mesures relevant du domaine de la loi et modifiant le code de procédure pénale, le code rural et de la pêche maritime, le code des transports et le code du travail ».
Malheureusement, il ne s’agit que de manifester pour défendre … nos acquis sociaux et démocratiques qu’on assassine (sans barbe, ni kalachnikov, avec juste des diplômes de l’ENA et des mandats politiques). Gageons que notre bon peuple avide de droite, ne se mobilisera pas en masse pour de telles balivernes. Surtout un jeudi, un jour de semaine. Faudrait se mettre en grève. Oula, c’est pas de droite, ça, la grève. C’est un truc de rouges ! Vade retro !
La nuit avance.
Dommage, j’avais pourtant préparé une p’tite pancarte, au cas où :
