Désolé, j’étais un peu pris dernièrement. Beaucoup de bruit médiatique autour du grand duel « démocratique » organisé tous les 5 ans., vous savez bien, la Nouvelle Star truquée sponsorisée par la World Company! Mais bon, il semblerait que ça se tasse. Aux dernières nouvelles, l’impétrant bleu-blanc-rose (surtout pas de rouge, c’est vulgaire! Ah ben y’a même plus de rose maintenant. Faudrait quand même pas que certains se trompent de profession de foi quand même, ce serait ballot):
bref, l’impétrant bleu-blanc-rosebleu, disais-je donc, serait en passe de remporter, nous dit-on de source sondagière bien informée, la gros lot tant convoité, le fameux quinquennat, ce séjour de cinq années dans le paradis des héros mégalos indispensables à la nation, l’Élysée.
Fini, donc, le concours de beauté. Vainqueur ex æquo: le bipartisme stérilisant et la pensée unique anesthésiante. Il est maintenant temps de se recentrer sur la vraie vie politique. Tiens, par exemple, que se passe-t-il en Europe, dans l’Union Européenne politique, je veux dire ? J’avais laissé passer, emporté que j’étais sur les chemins enivrants de la campagne franco-française, mais j’y reviens donc aujourd’hui.
Le 19 avril 2012 la grosse Commission Européenne a émis un document de recommandations, adressées aux États membres, listant un certain nombre de mesures pour favoriser la création d’emplois et la réforme du marché du travail. Cette communication est une réponse au Conseil Européen, qui avait demandé que la nouvelle gouvernance économique (TSCG, Semestre Européen, etc) soit assortie d’un meilleur suivi des politiques de l’emploi.
Je ne veux pas être mauvaise langue, ou apparaitre encore une fois comme un indécrottable complotiste, mais, à mon avis, ce document et ses recommandations sont à lire en gardant à l’esprit le scénario déjà écrit du film « Hollande in Euroland », film qui devrait sortir, dans une salle proche de chez vous, voire directement chez vous, ce 7 mai prochain. Nous le savons, les membres de l’Eurozone, sous la férule des marionnettistes financiers, vont permettre à François Hollande de prétendre qu’il leur a arraché quelques concessions, même si c’est faux en réalité. La demande de renégociation du traité TSCG, que Hollande a pourtant déjà accepté, serait alors utilisée pour tromper le peuple français en lui faisant accepter des réformes, dont celle du marché du travail.
Quelles sont donc les deux faces de ce pacte entre Faust Hollande et la grosse Commission Européenne?
Les mesures prétendument imposées par Hollande
François Hollande, n’est même pas encore président qu’il aurait déjà réussi à rallier la plupart des eurocrates les plus néolibéraux à sa bannière enfumée d’un pacte de croissance européen. Je ne vais pas citer tous les articles et commentateurs politiques qui martèlent ce message depuis quelques jours. Un véritable pilonnage. Façon Dresde. Juste un qui synthétise l’ensemble: « Relance: l’Europe se rapproche des positions de Hollande« . Le titre nous met déjà bien dans l’ambiance. Quant au contenu de l’article, il est tout simplement magique, une douce petite berceuse:
« Mariano Rajoy n’attend qu’une chose : que François Hollande soit élu, pour tenter d’assouplir un peu les objectifs budgétaires de l’Espagne »
« le discours du candidat socialiste, qui veut (…) renégocier le traité européen dit «pacte budgétaire», trouve désormais de plus en plus de relais à Bruxelles »
« Tout se passe comme si le candidat socialiste avait réussi à anticiper ce débat crucial sur les vices du “tout austérité”, renforçant sa crédibilité en Europe à peu de frais »
« la surprise est venue de Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE). Invité devant le Parlement européen, il a plaidé pour un « pacte de croissance » »
« François Hollande, élu corrézien que l’on pensait en mal de crédibilité en Europe, a réussi un joli coup politique. Il est parvenu à préempter l’agenda bruxellois. »
Vous avez compris! C’est clair! Ils insistent pourtant. Je résume. François Hollande, après avoir voté ou laissé voter, que ce soit personnellement ou par l’entremise de ces amis et complices du parti socialiste, futurs membres de son cabinet ministériel à venir, que ce soit à l’Assemblée Nationale ou au Parlement Européen, après donc avoir entériné à peu près tous les textes européens acceptant, instaurant, généralisant, banalisant, légalisant, institutionnalisant la rigueur, les restrictions, la contraction économique et l’austérité, ce François Hollande-là nous est donc présenté aujourd’hui comme celui qui réussit à imposer des mesures de relance à des Rajoy, Monti, Draghi, Merkel, Barroso et autre Junker. Non, mais je crois rêver. À moins que. À moins que, en vérité, ce que veut « imposer » 😀 Hollande à ses bientôt pairs européens ne soient que les sempiternels vœux pieux lénifiants (je n’ai pas dit Léninifiants) noyés d’une bonne dose de politique de l’offre si chère à la droite.
Voyons donc. Trouvons donc les propositions de Hollande que le tout-Europe s’arrache, nous dit-on, pour relancer l’emploi dans nos contrées dévastées. Et voyons si on peut y trouver des petits morceaux de bonne grosse gauche dedans, ou au moins un zeste de Keynesianisme, de la revigorante politique traditionnelle de la demande, avec de la vraie relance du pouvoir d’achat, avec par exemple (on peut rêver, nan) une réelle augmentation des plus faibles revenus, les seuls revenus qui sont intégralement reversés directement dans la consommation et donc la circulation économique. Aah! Enfin, les voici, ces fameuses mesures. Attention, c’est du lourd. Le «memorandum en quatre points de François Hollande», 4 points que voici énumérés:
- Le premier porte sur la création d’Eurobonds pour financer des «projets industriels et d’infrastructures». C’est son truc, ça, les Eurobonds. Depuis le début. Quand la gauche (c’est à dire le Front de Gauche, bien sûr ;-)) proposait d’imposer à la BCE de prêter directement aux états au taux directeur réservé aux banques privées, il y a deux ans déjà, et bien, lui, avec ses chers socialistes, nous rebattaient déjà les oreilles avec les Eurobonds. Le problème des Eurobonds, c’est que ça reste des obligations sur lesquelles les rapaces de la finance vont se faire un plaisir de spéculer. Or, ces obligations seraient notées par les vénérables agences de notation … avec la note du plus faible membre de la zone Euro, en l’occurrence la Grèce. Et, c’est pas moi qui le dit, c’est le meilleur élève de la classe, Standard & Poor’s. Oublions donc ça très vite, s’il vous plait.
- le deuxième point demande de mobiliser davantage de financements de la Banque européenne d’investissement (BEI). Ah, mobiliser du financement de la BEI qui elle-même se finance … Je vous laisse finir la phrase maintenant que vous maîtrisez ces sujets. Et une rasade supplémentaire pour les vautours financiers privés. Pour du vent probablement. On sait à quel point les financiers adorent investir dans de véritables activités économiques avec un rendement, dans le meilleur des cas, autour des 2 à 4% plutôt que de perdre leur temps dans des activités spéculatives desquelles ils peuvent exiger du 18% rapidement 😉
- le troisième point est de créer une taxe sur les transactions financières (TTF) «avec tous les pays qui le souhaitent». Aah! Enfin une bonne idée. C’est sûr, dans notre camp, on la souhaite depuis plus de 15 ans. Bien sûr, encore faudra-t-il vérifier que les fonds ainsi récoltés seront véritablement investis dans l’économie réelle créatrice d’emplois. Mais, quand même, là, je dis bravo. Enfin, une mesure de gauche. De la vrai redistribution. Du partage sur la richesse immense existante et non pas un nouvel emprunt pour engraisser encore plus les financiers. Quoi? Pardon? Que dites-vous? Ah oui, c’est vrai. C’est déjà prévu. Le Parlement européen doit d’ailleurs voter une telle résolution de TTF en session plénière fin mai à Strasbourg.
- et le quatrième point est de mobiliser les fonds structurels aujourd’hui non-utilisés pour des investissements. Bla bla bla, bla bla bla, re- bla bla bla, encore bla bla bla, ah oui, j’oubliais, bla bla bla, et glou glou glou.
Bref, vous voyez que je ne suis pas si mauvaise langue que ça. J’étais pile-poil dedans. Il s’agit bel et bien d’un simulacre de victoire. Une prétendue conversion aussi générale qu’inattendue de toute l’Europe aux idées aussi géniales que gaucho-marxo-trotskystes de François le Rouge. En vérité, si une seule de ces fumées vaporeuses réussit à créer ne serait-ce qu’un seul petit emploi de vrai travail (je ne parle pas de trader ni de président de la république, là), je veux bien écouter … allez, soyons fou, disons … une heure d’un discours politique de F. Hollande.
Mais, comme dans tout accord digne de ce nom, et en particulier ceux avec le Diable de la finance, il y a une contre-partie bien-sûr. « There is no free lunch » comme disent nos amis yankees. Qu’est-ce qu’a donc bien pu lâcher Hollandreou pour que les maîtres du monde lui offrent cette pseudo-victoire à donner à ronger à son peuple pourtant bien moins regardant que deux siècles auparavant.
Les mesures de la réelle défaite des travailleurs
J’en reviens donc maintenant au fameux document de recommandations émis par la grosse Commission. « Vers une reprise génératrice d’emplois » qu’il est sous-titré. Je m’en vais de ce pas vous en donner quelques extraits bien sûr, mais, pour une fois qu’un document sorti des forges souterraines de Barroso est traduit en français, ne boudez pas votre plaisir. Franchement, ce serait trop bête. Ouvrez et lisez donc! Directement à la source! Plongez-vous dedans à yeux perdus, et admirez cette magnifique langue morte, faite de tournures alambiquées, de formules dogmatiques, d’euphémismes vaporeux, de contrevérités dissimulées, de sophisme savants, de circonlocutions, détours et autres ambages anesthésiants.
Je passe sur les tartines de mesures incantatoires de l’ordre du vœu pieux et sur les innombrables mesures tendant à récolter quelques financement destinés à être investis dans la création d’emplois, au travers de toute une panoplie de fonds multiples et variés tous notoirement et historiquement plus efficaces les uns que les autres tout au long de leur longue existence.
La toute première phrase donne le LA:
« La stratégie «Europe 2020» pour une croissance intelligente, durable et inclusive prévoit que 75 % des 20 à 64 ans aient un emploi d’ici à 2020 » Non, mais franchement, vous pensiez vraiment pouvoir vous reposer avant 64 ans? Oubliez ça et entrez dans le moule!
Allez, pour vous faire plaisir, voici quelques unes des recettes miracles auxquelles nos commissaires européens ont pensé pour créer de l’emploi. Franchement, on ne s’y attendait pas du tout. La grosse surprise, là. J’étais scié.
« réduction de la pression fiscale« et vlan, tout de suite, comme ça, au moins, le ton est donné. Et pour ceux qui n’auraient pas bien compris, on précise « Dans de nombreux États membres, il est possible de réduire les cotisations patronales » Bon, ça, c’est fait.
« L’encouragement de l’esprit d’entreprise, la multiplication des services de microfinancement » Ah, le petit bonheur simple de l’auto-entrepreneur!
« les travailleurs moins qualifiés et les travailleurs âgés, eux, devront s’adapter » Pas de stupide sentimentalisme. On est là pour être efficace. C’est quoi cet humanité surannée? Allez, hop, tu t’adaptes ou tu crèves, compris?
« Si les employeurs affichent une préférence marquée pour ce type de contrat [temps partiel, CDD et intérim, NDLR], c’est peut-être en raison des coûts de licenciement bien trop élevés associés aux contrats à durée indéterminée classiques » Parfait, généralisons donc un seul et unique contrat de travail pour tout les travailleurs européens, le contrat à durée déterminée et à temps partiel, non renouvelable. Je propose que l’on nomme ce contrat « la pige » ou « le contrat de journalier« . Et je propose que l’on nomme notre siècle, le XIXème siècle, cool, nan?
« la mobilité de la main-d’œuvre en Europe est trop faible » Putain, mais bougez-vous un peu le cul aussi! Vous restez plantés là, avec votre maison, vos ancêtres, vos enfants, vos amis, vos racines, votre vie quoi, scotchés à votre bled pourri paumé au milieu de nul part alors que vous pourriez retrouver une nouvelle vie, pleine de « challenges », en relançant votre « carrière » dans un magnifique contrat de 12 mois à mi-temps, à l’autre bout de l’Europe pour le tiers de votre dernier salaire. Franchement, vous êtes un peu pantouflard tout de même! Vous n’y mettez pas beaucoup de bonne volonté! Allez, un peu de courage, que diable!
Et puis, on entre dans le franchement énorme. En particulier, toutes les mesures tendant à casser les diverses protections existantes sur les contrats de travail ou le niveau des rémunérations:
« des mécanismes de fixation des rémunérations garantissant la concordance entre la croissance réelle des rémunérations et l’évolution de la productivité et des conditions sur le marché du travail local sont indispensables à la conversion en bonne et due forme de la croissance de la production » Vous appréciez le style, j’espère. C’est pas clair? Normal, c’est le but. Traduction: les rémunérations doivent être liées à l’évolution de la productivité et au marché du travail local. Qualification, mérite, expérience, ancienneté, évolution du prix de la vie? Tout ça on oublie. Même l’évolution du chiffre d’affaires de l’employeur serait un critère archaïque. Il faudrait maintenant faire évoluer la productivité pour espérer une évolution de salaire. Si la productivité est déjà presque à son top (comme en France, première mondiale), la faire encore évoluer va relever de la gageure, et une augmentions de salaire, du rêve humide pur et simple.
« les rémunérations devraient évoluer en fonction de la compétitivité des États membres » à pleurer
de rire« Les principes de l’Union en matière de flexisécurité demeurent des pièces importantes dans l’édification de marchés du travail dynamiques; ils visent à engager les États membres sur la voie de réformes structurelles des marchés intégrées » Encore un très bel exemple de la langue commissarienne européenne. Traduction: les États membres devront permettre de licencier plus facilement (leur fameuse flexibilité, faut suivre aussi! c’est pas simple les langues étrangères)
« Le recours à des clauses dérogatoires aux conventions collectives » Dites-moi pas que c’est pas vrai! Ça, ça ne peut venir que de Hollande, c’est pas possible autrement. Vous vous souvenez, l’inversion de l’échelle des normes qu’il souhaite institutionnaliser. Quelle misère!
Et on finit en beauté (façon de parler):
« Les minimums salariaux doivent pouvoir être ajustés suffisamment, en concertation avec les partenaires sociaux, pour refléter l’évolution de la conjoncture économique générale. Dans ce contexte, des salaires minimaux différenciés, déjà appliqués dans plusieurs États membres, peuvent être un moyen efficace de préserver la demande de main-d’œuvre. » « Ajurster » dans leur langue, cela signifie réduire bien sûr. Vous avez bien lu! Pouvoir réduire le SMIC « pour refléter l’évolution de la conjoncture économique générale ». Hallucinant, non?
Vous aurez remarqué, j’en suis sûr, affutés comme vous l’êtes ;-), la convergence de certaines de ces mesures avec les propositions de F. Hollande dans son programme présidentiel. Comme quoi, il n’aura probablement même pas beaucoup à se forcer pour adopter ces mesures au niveau français.
Quelle est loin la vision de cette Europe solidaire et sociale! Toujours plus de compétition de chacun contre tous. Toujours plus de convergence vers le bas et d’alignement sur le moins bien loti. L’exact opposé des européens convaincus, des internationalistes revendiqués, que nous sommes.
Toujours plus de néolibéralisme. Toujours plus de droite. Toujours plus de social-démocratie.
Et toujours moins de partage. Toujours moins d’humanisme. Toujours moins de gauche.
Dommage qu’on ne puisse plus voter utilement…
J’aimeJ’aime
Euh… c’est un article censé nous inciter à aller voter ??? :-))
Belle analyse en tous cas, et très claire. Merci. Lorette
J’aimeJ’aime