Pour les moralistes des lustres (ceux qui se mettent en mode moraliste républicain une fois tous les lustres – tous les 5 ans – et se remettent à leur besogne de casse sociale le reste du temps), voici quelques extraits du dernier billet de Frédéric Lordon dont j’ai essayé de conserver la logique de l’argumentaire, pour expliquer mon abstention du 7 mai. #SansMoiLe7Mai
Car c’est encore lui qui l’explique le mieux. Enfin, de manière la plus … flamboyante. Comme d’habitude.
Sergio, j’espère que tu liras aussi, suite à notre discussion sur Facebook.
Dans le concert pour cymbales et sanibroyeurs qui tympanise le pays entier, il n’est, à quelques exceptions près, pas un instrumentiste qui n’ait une part de responsabilité, politique ou idéologique, dans la situation présente – contre laquelle il jure ses grands dieux être prêt à faire barrage de son corps (si seulement…).
(…)
On n’en finirait pas de dresser la liste des éditorialistes, des experts, des économistes à gages, des intellectuels de service, des roitelets de matinales qui, pénétrés du sentiment de leur liberté, récitent à l’année le catéchisme de l’époque – « Mais enfin vous n’envisagez tout de même pas du protectionnisme ? Mais les entrepreneurs partiront ! Mais ce sont les entreprises qui créent l’emploi ! Mais sortir de l’Europe c’est la guerre ! Mais les charges détruisent la compétitivité ! » – pour découvrir un matin, stupides et interdits, les effets réels des politiques dont ils sont les desservants. Et surtout qu’une partie croissante de la population est prête à n’importe quelle solution, fut-ce la pire, pour donner une expression à sa rage.
Quand des intellectuels du calibre de Frédéric Lordon se mêle … enfin … de politique (au sens premier et noble du terme) en sortant de leur bureau d’universitaire, cela donne ce qui suit. De vraies bonnes idées concrètes pour réussir la convergence des luttes, seul moyen de renverser la table.
Par exemple, cette idée de rédiger une constitution pour la république sociale que Lordon appelle de ses veut, idée versée au pot commun de la #NuitDebout, afin de ne pas perdre le sens de qui se passe là-bas :
Nous occupons pour atteindre des objectifs politiques.
Ou encore avec François Ruffin :
Bon, du coup j’en profite pour partager cet article fondateur (à mon avis) de l’engagement de Lordon. Cet article est paru dans le Diplo du mois dernier. Le numéro d’Avril vient de sortir en kiosque, aussi Serge Halimi et tous ses amis ne m’en voudront-ils pas trop, j’ose espérer, d’en reproduire ici gratuitement (et illégalement), pour les non abonnés (mais faut s’abonner si on peut, bien sûr), de larges extraits. Je ne peux plus repousser cette diffusion.
Pour la république sociale
Par Frédéric Lordon, Le Monde Diplomatique Mars 2016
C’est bien l’esprit de Lampedusa (1) qui plane sur l’époque : tout changer pour que rien ne change. Et encore, « tout changer »… A peine feindre. A moins, ce qui serait presque pire, qu’ils ne soient sincères : on ne peut pas exclure en effet que les protagonistes de la « primaire à gauche » soient convaincus de produire une innovation politique radicale, alors qu’ils bafouillent la langue morte de la Ve République. Le comble de l’engluement, c’est bien sûr de ne plus être capable de penser au-delà du monde où l’on est englué. Présidentialisation forcenée, partis spectraux, campagnes lunaires, vote utile, voilà la prison mentale que les initiateurs de la « primaire à gauche » prennent pour la Grande Evasion. Et pour conduire à quoi ? La fusion de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l’impôt sur le revenu ? un programme en faveur de l’isolation des logements ? une forte déclaration sur la « réorientation de l’Europe » ?
Il est vrai que, comme la pierre du Nord (guérit les rhumatismes et les ongles incarnés) avait besoin pour s’écouler de se rehausser de la mention « Vu à la télé », l’étiquette « Soutenu par Libération » signale surtout le rossignol d’une parfaite innocuité, la subversion en peau de lapin bonne à n’estomaquer que les éditorialistes, comme si de l’inénarrable trio Joffrin-Goupil-Cohn-Bendit pouvait sortir autre chose qu’un cri d’amour pour le système, qui leur a tant donné et qu’il faut faire durer encore. En tout cas, il ne manque pas de personnel dans le service de réanimation, où la croyance qu’un tube de plus nous tirera d’affaire n’a toujours pas désarmé.
(…)
En politique, les morts-vivants ont pour principe de survie l’inertie propre aux institutions établies et l’ossification des intérêts matériels. Le parti de droite socialiste, vidé de toute substance, ne tient plus que par ses murs — mais jusqu’à quand ? Aiguillonnée par de semblables intérêts, la gauche des boutiques, qui, à chaque occasion électorale, se fait prendre en photo sur le même pas de porte, car il faut bien préserver les droits du fricot — splendides images de Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse encadrant Claude Bartolone aux régionales —, n’a même plus le réflexe élémentaire de survie qui lui ferait apercevoir qu’elle est en train de se laisser gagner par la pourriture d’une époque finissante. Il n’y a plus rien à faire de ce champ de ruines, ni des institutions qui en empêchent la liquidation — et pas davantage de la guirlande des « primaires » qui pense faire oublier les gravats en y ajoutant une touche de décoration.
La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c’est qu’aucune alternative réelle ne peut naître du jeu ordinaire des institutions de la Ve République et des organisations qui y flottent entre deux eaux le ventre à l’air. Cet ordre finissant, il va falloir lui passer sur le corps. Comme l’ont abondamment montré tous les mouvements de place et d’occupation, la réappropriation politique et les parlementarismes actuels sont dans un rapport d’antinomie radicale : la première n’a de chance que par la déposition (2) des seconds, institutions dont il est désormais établi qu’elles sont faites pour que surtout rien n’arrive — ce « rien » auquel la « primaire de gauche » est si passionnément vouée.
Par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 9 octobre 2015) // Si l’on avait le goût de l’ironie, on dirait que le lamento décliniste ne se relèvera pas d’un coup pareil, d’une infirmation aussi catégorique ! Coup (…)
Spécialement pour mon ami Lionel, pour qu’il puisse y retrouver, exposés avec une précision et une verve assurément plus convaincantes, les arguments que je tentai d’exposer naguère sur la peur qui change de camp, ou plutôt, la peur qui envahit également l’autre camp :
Cette image est au total porteuse d’espoir : car c’est l’image du corps social qui, par ses propres moyens, commence à sortir de son tréfonds d’impuissance, qui n’a plus peur de la tyrannie du capital. (…) dans l’époque qui est la nôtre, l’important est le salariat qui relève la tête, quelle qu’en soit la fraction, l’exemple ainsi donné aux autres, et que ceci est un bon signe.
Quoi qu’on en pense, la tyrannie, la maltraitance que rien n’arrête, finissent toujours, privées de régulation externe et incapables de contenir leur propre tendance interne à l’abus, par franchir un de ces seuils invisibles où la peur des maltraités se retourne en fureur. Il ne faudra pas venir chialer ce jour-là qu’il y a du verre brisé et « d’inadmissibles violences » comme dirait l’éditorialiste de Libération. Car quand le couvercle de la cocotte ne peut plus que sauter, il saute ! Et les vrais coupables sont ceux qui ont installé la gazinière, monté le feu, et célébré la nouvelle cuisine.
Quand la loi a démissionné, les dominants ne connaissent qu’une force de rappel susceptible de les reconduire à un peu de décence : la peur – encore elle.
J’avais adoré cette vidéo au moment de sa sortie, il y a quelques mois. Je viens de la re-regarder et il fallait que je partage ça avec vous. Il s’agit d’une petite interview de l’économiste Frédéric Lordon réalisée par Nada-info il y a 10 mois et intitulée « Les zélés du désir » .
Frédéric Lordon,, le dernier véritable penseur de gauche, y repère, au travers de la figure du consommateur-roi véhiculée par la publicité, l’impact de la propagande ultra-libérale sur le salariat.
Je l’ai sous-titrée « la liquéfaction du travail », vous comprendrez pourquoi.