Un crime de l’humanité


Onze ans déjà depuis le fameux discours de Jacques Chirac, alors Président de la République française, devant l’Assemblée plénière du Sommet mondial du développement durable de Johannesburg.  C’était le 2 septembre 2002.  Fameux discours qui commençait par ces mots devenus célèbres:

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »

Du coup, je l’ai relu, le discours.  En avez-vous souvenance, vous, là, derrière votre écran?  Un constat implacable sur la destruction de la Nature et une critique virulente de l’indifférence des habitants de la Terre face à cette catastrophe mettant pourtant en danger l’espèce humaine tout entière.  Il y disait des trucs comme:

« La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre.  L’humanité souffre.  Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents.  La Terre et l’humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. »

« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !  Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »

Chirac y listait 5 chantiers prioritaires, déjà, à l’époque:

  • « Le réchauffement climatique est encore réversible. Lourde serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de le combattre. »
  • « La persistance de la pauvreté de masse est un scandale et une aberration. »
  • « L’affirmation du droit à la diversité et l’adoption d’engagements juridiques sur l’éthique. »
  • « L’invention du développement durable est un progrès fondamental au service duquel nous devons mettre les avancées des sciences et des technologies. »
  • « Il est temps de reconnaître qu’existent des biens publics mondiaux et que nous devons les gérer ensemble. Il est temps d’affirmer et de faire prévaloir un intérêt supérieur de l’humanité, qui dépasse à l’évidence l’intérêt de chacun des pays qui la compose. »

Du Mélenchon pur jus !

Au passage, permettez-moi, cette rapide digression, un bref cours d’analyse politique.  Lorsque Chirac prononce ces paroles, tout le monde s’extasie devant un discours choc, très offensif, franchement tiers-mondiste, puissant, courageux, inoubliable, bref, historique.  Lorsque Mélenchon décrit la même situation, pratiquement mot pour mot, on parle alors de populisme et d’extrémisme.  Le premier, est surnommé affectueusement Chichi.  Le second, n’est qu’un sectaire d’extrême gauche éructant sa mauvaise humeur.  Peut-être la différence de traitement provient-elle du fait que le second propose des solutions concrètes alors que le premier, comme tous les gens non dangereux, dissertait inoffensivement dans le champ infini des belles phrases sans lendemain.  Hum.

Bref, revenons à notre mouton.  Suite à ces magnifiques paroles, on s’en souvient, Chichi le bien nommé se lance alors immédiatement dans un immense chantier de … regardage ailleurs, avec l’aide de tous les autres dirigeants mondiaux.  Un superbe exemple de coopération internationale.  Rien, absolument rien, nulle part sur notre planète, sur aucun de ces 5 chantiers n’a évolué, du moindre petit centimètre.  Pourtant, Chirac, il y a 11 ans, regrettait déjà que rien n’eusse (eh oui, m’ssieurs-dames, l’imparfait du subjonctif, siouplait !  Requis dans une subordonnée introduite par un verbe au passé, je rappelle !  Ou plus prosaiquement, requis quand on veut se la péter !), il regrettait, disais-je donc, que rien n’eusse bouger depuis le précédent sommet à Rio:

« Dix ans après Rio, nous n’avons pas de quoi être fiers.  La conscience de notre défaillance doit nous conduire, ici, à Johannesburg, à conclure l’alliance mondiale pour le développement durable. » disait-il, contrit.

Aujourd’hui (hier, en fait, mais bon, soyez indulgent) est paru le cinquième rapport (AR5) du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, intitulé « Climate Change 2013: The Physical Science Basis« .  C’est le premier chapitre, concernant l’évolution des phénomènes climatiques établi par le premier groupe de travail (composé de centaines de scientifiques provenant de plusieurs dizaines de pays différents).  Pour info, trois autres étapes (conséquences, impacts socio-économiques et recommandation aux politiques) doivent paraître jusqu’à l’automne 2014.  Ce document, mis à jour tous les quatre à six ans, fait autorité dans le monde.

Je vais vous la faire brève puisque de toute manière tout le monde s’en tape.  Je n’entrerai pas dans les détails.  Ni même dans la synthèse des chiffres ou l’étude des différents scénarios qui confirment indéniablement, n’en déplaise à Claude Allègre et à son ramassis de climato-sceptiques à la pointe de la modernité, le dérèglement climatique lié à l’activité humaine.  Je ne relèverai que ces quelques constations:

  • on émet toujours plus de CO2 chaque année,
  • les températures continuent d’augmenter (même si leur accroissement a ralenti depuis 2002 suite à la variabilité naturelle de phénomènes affectant les températures, tels le cycle d’activité du soleil, les éruptions volcaniques, etc)
  • le niveau des mers continue d’augmenter sous l’effet de la fonte des glaciers,
  • les glaciers, en particulier ceux du Groenland et de l’Ouest-Antarctique, continuent de reculer presque partout,
  • les surfaces de glace de mer continuent de rétrécir,
  • et une nouveauté, la chaleur accumulée par l’effet de serre pénètre maintenant l’océan profond.

Que des bonnes nouvelles en fait, puisque, par exemple:

  • le marché des climatiseurs, des crèmes bronzantes et des boissons gazeuses fraiches (d’un firme basée à Atlanta, Géorgie, États-Unis, de préférence) va pouvoir exploser,
  • le marché touristique va pouvoir dénicher de nouvelles plages paradisiaques à mutiler (c’est le moment d’acheter des terrains à Poitiers et à Montélimar, bientôt villes balnéaires)
  • le marché des hydrocarbures va pouvoir lancer de nouvelles exploitations sur les calottes ex-glaciaires (parce que les gaz de schistes ne seront bientôt plus suffisants de toute façon),
  • le marché des transports va pouvoir commercialiser de nouvelles routes maritimes plus courtes entre l’Ouest et l’Est (l’iPhone 12s pourra ainsi être acheminé, par containers entiers, directement depuis les usines d’enfants de Shenzhen jusqu’aux files d’attente de décérébrés branchés s’agglutinant nuitamment devant les centres commerciaux de Los Angeles, en à peine quelques jours)
  • et les marchés financiers vont pouvoir inventer tout un tas de nouveaux produits dérivés astucieux, sur la base de sous-jacents aussi improbables que rémunérateurs, tels que la migration de populations affamées ou l’extinction d’espèces de toute manière inutiles.

Les bourses devraient « réagir positivement » à ce rapport, à mon avis.  J’dis ça pour ceux qui auraient quelques économies à jouer ;-).

Je termine en vous livrant cette sentence lâchée en fin de rapport:

« Most aspects of climate change will persist for many centuries even if emissions of CO2 are stopped. » que je pourrais traduire par:

La plupart des aspects du changement climatique continueront de se faire ressentir pendant des siècles même si les émissions de CO2 … sont totalement arrêtées.

Vous avez bien lu ?  Totalement arrêtées !  Hum, tout ça m’a l’air bien mal emmanché.  Finalement, peut-être que ce sont les ricains qui ont raison.  Pourquoi se faire chier à tenter d’imaginer un autre futur.  Soyons égoïstes !  Carpe diem !  En plus, moi, j’ai même pas de progéniture.  Alors, franchement, qu’est-ce que j’en ai à foutre de l’état de notre planète en 2100 !  Tiens, je vais p’t-être même voter à droite aux prochaines élections.  Histoire d’accélérer le mouvement !

Bon, allez, faut que je me calme.  Merde, où ai-je bien pu foutre mes cachets !  Parce que, comme le disait Chichi:

Lourde serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de combattre.

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  1. Comme l’a dit P. Rabhi : « C’est encore une fois la nature, avec toute sa rigueur, qui nous mettra les limites. »

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