Piketty, illumination ou opportunisme ?

La foule était immense ce dimanche 11 janvier 2015 pour … pour quoi au fait ?

Oublions bien vite la misérable cinquantaine de chefs d’État et de gouvernements venus pitoyablement tenter de récolter quelque notoriété sur les restes des victimes pas encore enterrées, écartons (pour l’instant) les lamentables récupérations et autres détournements politiciens qui commencent à affluer comme attendu, et écoutons simplement les français qui s’étaient donnés rendez-vous.  Selon les interviewés, ils se sont rassemblés pour montrer que la France n’avait pas peur, pour rendre hommage à Charlie Hebo, à nos forces de l’ordre et aux juifs de France, en mémoire des 17 victimes des trois attentats, pour montrer un front uni face au terrorisme, à tous les terrorismes, pour défendre la liberté d’expression, pour affirmer notre République une et indivisible, pour la liberté, pour l’égalité, pour la fraternité, pour l’amour entre les peuples, pour la paix (pour le ciel bleu et les p’tits oiseaux, nan pardon, là, j’déconne) …

L’image est belle même si, comme vous le savez, je n’y étais pas, ayant préféré organiser notre propre marche républicaine alternative.

Bien entendu, à l’exception de M et Mme Bisounours, chacun sait que cette pseudo « union nationale » ne peut s’afficher que le temps de l’évocation sur le mode émotionnel de thèmes tout à fait génériques, de vagues vœux pieux universellement consensuels, de mots d’ordre qui ne mangent pas de pain, et tant qu’aucune solution concrète ou mesure pratique n’est à l’ordre du jour.  Car dès lors, dès que l’on passe des objectifs aux moyens, comme toujours, le clivage entre les différentes manières de voir le monde reprend tout naturellement le dessus.  Et c’est bien normal.  C’est sain.  C’est la démocratie.

Et ce sera bien sûr également le cas du sujet que je voudrais aborder aujourd’hui.  Un sujet politique.  Un sujet noble.

Je veux parler du célèbre (surtout aux zétazunis) économiste Thomas Piketty, auteur du best-seller « Le capital au XXIe siècle », dont le constat implacable est porté aux nues par toute intelligentzia socialo mondiale sans pour autant vouloir en porter les conclusions dans les législations.  Adoncques, voilà-t-y pas que, dans une interview télévisée avec Pablo Iglesias, leader et fondateur du nouveau parti espagnol Podemos, Piketty, nouvelle girouette Filochienne, s’extasie sur la montée des partis anti-austérité, Syriza en Grèce et Podemos en Espagne, qui serait selon lui une « bonne nouvelle pour l’Europe ».

Il ajoute :

« On doit leur apporter notre soutien parce qu’ils [Syriza et Podemos, ndlr] veulent construire une Europe démocratique, qui est exactement ce dont nous avons tous besoin. »

Dans l’interview télévisée d’une heure, Piketty décrit les politiques d’austérité comme un « échec » et soutient la proposition de Podemos d’un revenu de base pour les personnes les plus touchées par la crise ainsi que la restructuration de la dette, politique refusée jusqu’à aujourd’hui par les partis dirigeant l’Espagne depuis des temps immémoriaux, les socialistes et le Parti populaire.

Rappelons que, selon un sondage publié dimanche dans le journal El País, Podemos gagnerait sans problème si une élection générale était tenue demain.  Les élections sont prévues en Décembre, mais le remaniement de l’ancien ordre politique devrait commencer dès le mois de mai, puisque des élections municipales sont prévues dans les principales villes telles que Madrid et Barcelone.  Quant à la Grèce, un nouveau parlement sera élu le 25 janvier, et tous les sondages donnent Syriza vainqueur.

Iglesias, le chef du parti Podemos, a déclaré que Piketty aurait accepté d’agir comme conseiller officieux de Podemos pour sa politique économique.

Tout cela est magnifique (pour nous s’entend, la gauche bien sûr 😀 , pas pour Gattazo, le Gattaz espagnol, nan, en fait, il s’appelle Juan Rosell, pour ceux que ça intéresse).

Sauf qu’il est légitime de se demander alors pourquoi le sieur Piketty n’a pas soutenu le programme du Front de Gauche à l’élection présidentielle française de 2012, dont les programmes de Syriza et Podemos sont pratiquement des copies conformes (à quelques mouches près).  Juger plutôt.  Voici ce que prévoit entre autre le programme de Podemos :

  • Assemblée constituante dès l’arrivée au pouvoir,
  • réforme fiscale (peut-être celle de Piketty, donc),
  • restructuration de la dette,
  • opposition au recul de l’âge de la retraite à 67 ans,
  • passage aux trente-cinq heures (contre quarante actuellement),
  • référendum sur la monarchie,
  • relance industrielle,
  • récupération des prérogatives souveraines de l’État concédées à Bruxelles,
  • autodétermination des régions espagnoles

Que vous pouvez comparer au programme de Front de Gauche de 2012.

Pourquoi Piketty soutient-il ce programme aujourd’hui et n’a pas soutenu son équivalent en France 3 ans plus tôt ?  On se souvient en effet (ou pas, mais je suis là pour vous le rappeler 😉 ) que Thomas Piketty était à l’époque un fervent soutien de François Hollande dont pourtant personne de normalement constitué intellectuellement ne pouvait honnêtement croire, et ce malgré le discours du Bourget et les médias lobotomiseurs, qu’il allait esquisser une quelconque politique économique ou fiscale de gauche.

Piketty se voyait-il déjà ministre de l’économie et des finances à la place du calife en avril 2012 ?  Tente-t-il aujourd’hui une nouvelle chance de décrocher le maroquin tant attendu, mais cette fois  avec Podemos en Espagne ?  Ou a-t-il réellement viré sa cuti et s’est-il vraiment découvert une fibre de gauche ?

L’avenir nous le dira.  J’ai ma petite idée.

Pour en revenir et en finir une bonne fois pour toute avec la pseudo union nationale, imaginez 4 millions de français dans la rue pour dénoncer les inégalités du système fiscal français et défendre une meilleure répartition des richesses grâce à une véritable refonte révolutionnaire de l’impôt.  Bonnets rouges, pigeons, médefiens, grands patrons, travailleurs, salariés, keynésiens, marxistes, anarchistes, indécis, docteurs en économie, incultes et tous les autres, quels que soient leurs intérêts particuliers antagonistes (ça, c’est la lutte des classes, M. Cahuzac) pour défendre la même solution concrète dans l’intérêt du bien commun !

Réunir plus de 100 mille personnes dans la rue sur de tels sujets est déjà malheureusement un exploit, alors créer une union nationale, pffft.

Et je parle d’expérience.

5 Replies to “Piketty, illumination ou opportunisme ?”

  1. @obermeyer
    « Quelle est ton idée sur le personnage »
    Franchement, je ne porte pas trop ce genre de personnes, qui disent une chose et agissent à l’opposé, à l’instar d’un Gérard Filoche, dans mon cœur. Sauf pour le discours du Bourget (mais il ne s’agissait que d’un discours qui n’engageait donc que ceux …), il n’était pas possible de croire que Hollande allait mener une politique de gauche une fois élu. Son programme écrit (en 60 points) et son parcours politique personnel étaient (et sont toujours) clairement ancrés dans la vision libérale du monde. Moi-même, qui ne suis pas économiste, j’en ai souvent parlé en 2012 ici même.

    Piketty ne pouvait pas se faire berner ainsi. En soutenant Hollande, il savait pertinemment que sa réforme ne serait pas appliquer. Nous le savions tous. Quant à connaitre ses réelles motivations, ça, je ne peux pas plus en dire que les quelques supputations que j’ai évoquées dans mon billet (plutôt sur un ton humoristique d’ailleurs tellement tout ça est pitoyable, encore une fois).

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  2. C’en était pas encore un qui croyait à la magnifique carabistouille du hollandisme révolutionnaire ? L’impression d’avoir été pris pour un con avec son gros boulot sur la réforme de la fiscalité qui a servi de papier cul ? Le diamètre du plug hollandais lui aurait salement endommagé le fondement ? Le manque de lubrifiant ?

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  3. Oubli : Bravo pour ta micro manif ! Au moins tu n’auras pas mal aux fesses une fois l’engouement pour charlie dépassé !

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  4. « l’avenir nous le dira, j’ai ma petite idée ». Personnellement j’ai du mal à cerner le personnage. Je n’ai pas lu son dernier bouquin, mais je connais ses théories sur le partage des richesses, les inégalités dues au système capitalo-néo-libéral;, la redistribution etc … Quelle est ton idée sur le personnage ? Serait -il un vulgaire apparatchik visant un maroquin, ou serait-il réellement de gauche ? ( En mettant de côté le fait qu’il a pris parti pour Hollande, comme de nombreux soces qui se sentent aujourd’hui trahis par la politique très droitière de notre monarque présidentiel ) .

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