De Juncker ou Tsipras, lequel ment ?

Comme chacun sait, le 26 Juin 2015 au soir, vendredi dernier, le gouvernement grec, après cinq mois de confrontation exténuante, renonçait à perdre d’avantage de temps et d’énergie dans de pseudos négociations avec les « institutions » – anciennement appelées la Troïka et qui comprennent toujours la Commission Européenne du malsain Juncker, le FMI de la nocive Lagarde et la Banque Centrale Européenne du pernicieux Draghi ; ajoutez à ce trio infernal le funeste Obama et vous obtenez les quatre cavaliers de l’Apocalypse.

Juncker, et dans son sillage la ribambelle de veules petits chefaillons dirigeant pour son plus grand malheur la belle Europe ainsi que la tripotée de serviles petits chroniqueurs et éditorialistes sévissant dans tous les bons médias près de chez vous, tente de nous expliquer, affolé, que la responsabilité de cette rupture incombe uniquement à ces fourbes de grecs :

« Vendredi encore, après des mois et des mois de discussions et de débats, nous étions une fois de plus déterminés, patients, autour d’une table à travailler au meilleur accord possible.  Cet élan a été brisé de façon unilatérale par l’annonce du référendum et par la volonté de faire campagne sur le « non » à cet accord, et surtout en ne disant pas toute la vérité », déclare-t-il

Le gouvernement grec de M. Tsipras ne dirait donc, selon M. Juncker, pas toute la vérité quand il dénonce un ultimatum inacceptable qui nie le choix démocratique du peuple grec (qui s’est exprimé clairement en janvier dernier pour la fin des politiques d’austérité à la sauce européiste).  M Juncker, après les rituels verbiages et creuses ritournelles à base de diverses permutations des mots « Europe », « Démocratie », « Paix », « Réconciliation », « Volonté », « Dialogue », « Vertueux », ou encore « Solidarité », et se laissant probablement emporter par une crise de vapeurs Eltsiennes, ajoute même :

Il n’y aurait, selon-lui, aucune réduction de salaires ni de pensions de retraites dans ce plan, se défend-il. Et ce serait même un plan d’équité sociale et de croissance économique !  Nous allons y revenir.

« Ce n’est pas un plan d’austérité stupide ! » déclame-t-il même, l’air inspiré, façon Actor’s Studio.  Mais c’est qu’il m’aurait presque fait douter, le fourbe !  J’ai donc voulu vérifier.  Rien de plus facile, car figurez-vous que le sieur Juncker, dont seule la balourdise dépasse la sournoiserie, n’a rien trouvé de mieux que de publier, croyant probablement que personne, et surtout aucun « journaliste », n’aurait l’outrecuidance d’aller jusqu’à … la lire, la dernière proposition de la Commission Européenne, celle-là même repoussée par M. Tsipras et ses vigoureux négociateurs.

La voici également sauvegardée sur mon site avec quelques passages importants surlignés.

Même si la question ne déborde pas d’un suspens haletant, voyons donc qui de messieurs Juncker ou Tsipras ment effrontément.

Sur le premier point de Juncker :

« Il n’y a, comme je l’ai dit , aucune réduction de salaire dans ce plan.  Cela n’a jamais, jamais, été sur la table [sic].  Ce qui est sur ​​la table est une proposition pour moderniser la grille du secteur public des salaires.  Et, pour le secteur privé, nous avons convenu d’examiner les pratiques de négociation collective. »

Moderniser … Examiner …  Hum, pour qui connait la novlangue libérale, ça sent l’embrouille à plein nez.  Mais vérifions ce que prévoit, entre autre, le texte même de la Commission, celui qu’on n’aurait pas dû lire, sur le thème des salaires des fonctionnaires :

Il est clairement (nan, j’déconne) demandé d’adopter, effectif dès le 1er janvier 2016, une « réforme pour unifier la grille des salaires d’une manière cohérente avec les accords d’objectifs de masse salariale dans le secteur public« .  De quels accords parle-t-on ?  De quels objectifs ?  Il n’en est rien mentionné.  Il ne peut donc s’agir que des accords passés par les gouvernements précédents, c’est à dire des accords des memorandums.  De toute manière, malgré le langage volontairement abscons, on voit dépasser la pointe lexicale du joug financier grâce à des termes qui font maintenant trembler dans les chaumières du monde entier comme « réformer » ou « rationaliser », brrr.

Mais la démonstration est encore plus claire sur le deuxième point de Juncker, la réduction des retraites :

« Il n’y a aucune réduction dans le niveau des retraites dans ce plan », nous assène-t-il

Très bien, qu’est-ce donc que ceci :

Ce qui donne, entre autre et dans le désordre :

  • la limitation immédiate des pré-retraites,
  • l’abolition progressive de la retraite complémentaire,
  • l’application complète de la loi de mémorandum 3863/2010 sur la sécurité sociale [incluant une baisse des retraites, ndlr],
  • l’application de la clause de déficit zéro,
  • le financement des caisses complémentaires uniquement par des fonds particuliers,
  • l’augmentation des prélèvements pour soins de santé sur les pensions de 4% à 6%,
  • et … le gel des retraites jusqu’en 2021

Si ça, c’est pas d’la baisse du niveau de vie des retraités, je veux bien … assister à un meeting de Sarkozy !

Juncker tente finalement de résumer le plan de sa Commission, et salutairement refusé par le gouvernement grec, avec ces mots :

« En fait, c’est un plan qui crée plus d’équité sociale, plus de croissance et une administration publique plus moderne et transparente. »

Plus d’équité sociale ?

Continuons de lister ce que prévoit ce plan pour juger de sa forte concentration en mesures à haute plus-value sociale :

  • unification des taux de TVA à 23% pour le taux normal, 13% pour l’intermédiaire et 6% pour le taux réduit (à comparer aux respectivement 20%, 10% et 5.5% français), en rappelant que la TVA est l’impôt le plus injuste socialement
  • suppression de toutes les aides et subventions aux agriculteurs (on se demande d’où vient cette subite agression sur ces pauvres fermiers … ah oui … pardon … ils ont des terres que les financiers aimeraient bien racheter à vil prix … suis-je naïf)
  • retour des banques à la propriété privée
  • facilitation des licenciements
  • privatisation de la compagnie de distribution d’électricité, ADMIE
  • continuation du plan de privatisations défini dans les memorandums (train, aéroports, énergie, ports)
  • et d’autres (voir ici)

Voila pour la partie équité sociale.  Bon, ça, c’est fait.

Quant à la prophétique croissance que ce plan était censé apporter aux Grecs, il suffit de regarder le résultat des précédents plans des magiciens de la Troïka (il s’agissait alors de Barroso, Strauss-Kahn et Trichet, les garde-chiourme tournent, le fouet subsiste) durant les cinq dernières années pour réaliser à quel point M. Tsipras est du bon côté de l’histoire (et encore, les chiffres ci-dessous datent de l’année dernière et ont empiré depuis) :

En conclusion, une véritable surprise !

Juncker est … un menteur.  Pourtant, pour quelqu’un qui a organisé pendant des années à échelle internationale toute la fraude fiscale de l’un des plus grands paradis fiscaux de la planète, le Luxembourg, tout en se présentant comme un thuriféraire de la transparence fiscale, c’est tout à fait étonnant.  J’en suis resté bouche bée.

Pour ce qui est de Alexis Tsipras, il s’installe irrémédiablement du bon côté de l’Histoire en demandant son avis au peuple grec sur cet abject ultimatum. Comme le dit Paul Krugman :

« Si vous voulez mon avis, le jusqu’auboutisme des gouvernements et institutions des créanciers, relève d’une forme monstrueuse de démence.  C’est pourtant bien ainsi qu’ils ont agi, aussi ne puis-je reprocher à Tsipras de s’en être remis aux électeurs, plutôt que d’accepter l’affrontement. »

Et comme le dit Frédéric Lordon (dans un article qu’il faut par ailleurs absolument lire rien que, s’il fallait vous convaincre, pour la description du processus de retour forcé à la drachme – le début va être une épreuve, précise-t-il – qui risque d’intervenir dès la fermeture du refinancement des banques grecques auprès de la BCE, instant qui pourra être, comme l’espère l’infect Quatremer, ce soir à minuit, heure d’effet du défaut de la Grèce envers le FMI, ou un peu plus tard):

« Tsipras peut s’enorgueillir des tombereaux d’injures que lui réserve une oligarchie d’un autre type, le ramassis des supplétifs d’une époque finissante, et qui connaitront le même destin qu’elle, la honte de l’histoire. »

Espérons donc maintenant que les Grecs sauront prendra leur difficile décision de manière adulte, sereine et informée … en lisant, plutôt qu’en écoutant …

ce que les fossoyeurs de la démocratie européenne avaient prévu pour eux … et ce qui les attend toujours au cas où ils répondraient OUI au référendum de dimanche 5 juillet prochain …

mais également en lisant, par exemple dans l’excellentissime article de Lordon que je citais plus haut, ce qu’ils risquent dans le cas contraire, s’ils disent NON :

« La guerre idéologique est déclarée.  Il ne faut pas s’y tromper : sauf à ce que tout l’euro parte en morceaux à son tour, hypothèse qui n’est certainement pas à exclure mais qui n’est pas non plus la plus probable, les yeux injectés de sang d’aujourd’hui laisseront bientôt la place à l’écœurant rire triomphateur des Versaillais quand la Grèce passera par le fond du trou. Car elle y passera. Elle y passera au pire moment d’ailleurs, quand Espagnols et Portugais, sur le point de voter, se verront offrir le spectacle du « désastre grec » comme figure de leur propre destin s’ils osaient à leur tour contester l’ordre de la monnaie unique. Ce sera un moment transitoire mais terrible, où, sauf capacité à embrasser un horizon de moyen terme, les données économiques de la situation n’offriront nul secours, et où l’on ne pourra plus compter que sur la colère et l’indignation pour dominer toutes les promesses de malheur. En attendant que se manifestent les bénéfices économiques, et plus encore politiques, du geste souverain. »

Difficile décision qui ne pouvait être prise que par le peuple Grec lui-même.

Je leur souhaite beaucoup de courage et de perspicacité pour dimanche.

2 Replies to “De Juncker ou Tsipras, lequel ment ?”

  1. lequel ment ? sûrement celui qui a ruiné les finances publiques d’un nombre de pays en négociant des accords fiscaux secrets afin d’attirer les grandes firmes multinationales au Luxembourg , cela au mépris de la législation européenne pourtant extrêmement laxiste sur le sujet !
    Solidarité avec la résistance grecque !

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