Nuit d’angoisse … suspens insoutenable … rebondissements de dernière heure … on se serait cru à une tournante de l’Eurogroupe s’acharnant sur la Grèce.
Mais, c’est bon. La COP21 a accouché d’un bel accord en parfaite santé qui pèse 39 pages et mesures 29 articles. Les parents sont très heureux :
Vive la planète, vive l’humanité et vive la vie. On dirait du BHL tellement c’est beau. Ou peut-être du Michel Drucker.
Ainsi, pendant que les français votaient régionalement pour les Pen, la Pen maximum, la tante, et la Pen de substitution, la nièce, je lisais l’historique Accord de Paris (c’est l’épithète homérique incontournable de ce que j’ai pu voir). Le voici.
Et puisque vous insistez, si, si, je le vois bien, je vais vous donner mon avis.
Pour les organisateurs de la COP, cet accord marque un tournant vers un nouveau monde. Rien que ça. Il confirme (Art. 2) l’objectif de maintenir le seuil d’augmentation de la température au dessous de 2°C. Les scientifiques considèrent que des grands risques existent en effet au-dessus de cette température. L’accord se fixe même pour la première fois de tendre vers 1,5°C d’augmentation, afin de permettre la sauvegarde des États insulaires, les plus menacés par la montée des eaux. Certains, parait-il, auraient même tenté de parler de renverser la courbe en voulant inscrire comme objectif un … refroidissement des températures (ces hurluberlus ont été discrètement éconduits de l’assemblée).
Bon, ça, c’est l’objectif. La méthode ? C’est la même que celle mise en place par le gouvernement français pour le CICE. Chaque Partie, ou chaque pays si vous préférez, (Art. 4) « établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser (des INDC, pour Intended nationally determined contributions, que ça s’appelle). Les Parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions. » De la même manière, le MEDEF avait, on s’en souvient, annoncé un objectif de création d’un million d’emplois contre son chèque annuel de 20 milliards d’euros. On connait le résultat.
Voilà. Tout est là. C’est le cœur du machin. Les INDC ! Des contributions, décrivant des objectifs de réduction des gaz à effet de serre et des plans d’actions associés, déterminées individuellement par chacun des états. Chaque Partie communiquera sa contribution déterminée au niveau national (INDC) tous les cinq ans à partir de 2020. Elles seront centralisées et consolidées mondialement par l’ONU sur son site dédié du CCNUCC. Et (Art. 14), la Conférence des Parties (la COP) fera périodiquement le bilan de la mise en œuvre du présent Accord afin d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet du présent Accord et de ses buts à long terme. Le premier bilan mondial est prévu en … 2023.
C’est ça l’accord historique.
Quant au financement, comme d’hab (Art. 9) : « les pays développés fourniront les ressources financières pour venir en aide aux pays en développement ». Probablement sous la forme de prêts bien juteux assortis de Plans d’Ajustement Structurels ou de mémorandums dont seuls le FMI, la Banque Mondiale ou l’Union Européenne ont le secret. Ce point n’est pas abordé dans l’Accord.
Bon, là où on est rassuré quand même, c’est quand on lit que (Art. 4) « les pays développés continueront de montrer la voie ». Ouf, me voilà tranquillisé, moi qui craignais que ces grands fous aient l’idée saugrenue de prendre quelque distance par rapport au capitalisme. Imaginez un peu en effet une écologie à la Gorz. Brrr.
Le summum est atteint quand on apprend (Art. 7) que, pour que ça fonctionne, « les Parties devraient intensifier leur coopération ». Intensifier notre coopération mondiale ! Tout ça en respectant la sacro-sainte compétition libre et non faussée, s’entend. Hum, j’attends de voir.
Pour finir sur une note d’humour, sachez que cet accord sera … ouvert à la signature (ah bon, je croyais benoitement que c’était ce qui venait de se passer à Paris, comme quoi, j’avais pas tout compris) au Siège de l’Organisation des Nations Unies à New York du 22 avril 2016 au 21 avril 2017 (Art. 20) et qu’il entrera « en vigueur le trentième jour qui suit la date du dépôt de leurs instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion par 55 Parties à la Convention qui représentent au total au moins un pourcentage estimé à 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre » (Art. 21). Z’avez compris ? Je traduis au cas où. L’Accord sera ouvert à la signature des pays pendant 1 an à partir du 22 avril à New York, et pour qu’il entre en vigueur il faudra qu’une double condition soit satisfaite : 55 pays représentant au moins 55% des émissions devront avoir ratifié l’accord. C’est pas vraiment plié, tout ça, me semble-t-il.
Et, pompon sur le gâteau aux cerises, après l’entrée en vigueur de l’accord, les pays participants pourront s’en retirer, sur simple notification, avec un préavis d’un an (Art. 28). Imaginons. Imaginons que les USA signent réellement ce texte en avril (n’oublions pas qu’ils n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto) et que l’autre débile profond de Trump remporte les élections l’année prochaine. Que pensez-vous qu’il va faire une fois élu, sachant que plus de 50% de la population étasunienne , et 100% de son électorat (dont les ineptes coal runners), ne croit toujours pas au réchauffement climatique d’origine humaine mais croient par contre dur comme fer, que Dieu a créé le monde en 7 jours à partir de poussière céleste et de salive divine, que leur pays est une nation élue de Dieu servant de phare à l’humanité, que l’Irak détenait des armes de destruction massive et était impliqué dans les attentats du 9/11, que la sécurité sociale est une œuvre de Satan, que Obama est un socialiste marxisant et Hollande un bolchévique révolutionnaire, que Burgandy est la capitale de l’Espagne, ou du Danemark, ou de Suisse, enfin bref, d’un quelconque pays d’Asie mineure et que Dark Vador est le père de Poutine (je ne suis pas un adepte de la série mais il me semble que ça ferait du coup de Poutine le frère de Luke-la-force-soit-avec-lui-amen, non ?). Je dirais qu’on est pas rendu.
Je voudrais terminer par le point n°17 noyé en page 4 du document :
17. [La COP] note avec préoccupation que les niveaux des émissions globales de gaz à effet de serre en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national [INDC] ne sont pas compatibles avec des scénarios au moindre coût prévoyant une hausse de la température de 2 °C, (…) et note également que des efforts de réduction des émissions beaucoup plus importants que ceux associés aux INDC seront nécessaires pour contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
En résumé, les INDC actuels déposés pour cette conférence de Paris (ici) ne sont pas compatibles avec le scénario des 2°C et nécessiteront donc des efforts considérables pour leur prochaine présentation. Va donc falloir attendre la COP22, ou la 23, ou la 48 … Et pendant ce temps, ça chauffe.
Alors, un succès cette COP21 ?
Ou un leurre. Encore une fois, j’ai ma petite idée, mais il est vrai que je ne suis qu’un sale con pessimiste et que donc ça compte pas.
Ah oui, dernière petite chose, quelqu’un pourrait-il me traduire le paragraphe d’anthologie ci-dessous sur lequel j’ai passé déjà bien trop de temps. Article 2, alinéa 2, page 24 :
Le présent Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents.