Le passé que l’on enseigne révèle toujours le futur que l’on veut construire

Lettre à Mme Delphine Ernotte Cunci, Présidente de France Télévisions
Par Alexis Corbière et Jean-Luc Mélenchon, le 26 mai 2015

Extraits :

« (…) nous regrettons [que] le service public audiovisuel n’ait pas compris le rôle fondamental de l’Histoire et de la mémoire. (…)

« C’est donc sur l’émission mensuelle « Secrets d’Histoire » que nous souhaitons vous alerter. Elle est emblématique d’une tendance générale que l’on retrouve dans d’autres programmes de France Télévisions à vocation historique.

« Depuis 2008, France 2 a diffusé 88 épisodes différents de « Secrets d’Histoire ». Sur ces 88 opus, plus de 60% sont consacrés exclusivement à des monarques et leurs favorites. Sur les moins de 40 % restant, dont l’essentiel est consacré à des artistes (écrivains et peintres), ou des personnages folkloriques et très secondaires de l’histoire universelle (Mata Hari, le chevalier d’Eon, Robin des Bois, la bête de Gevaudan, etc.) seulement 5 émissions, soit 6% ( !) de la totalité, ont été consacrée à des personnalités ou des lieux liés à la République. En voici la liste précise  et exhaustive : le Général de Gaulle, Georges Clemenceau, Georges Danton, la journée du 14 juillet 1789 et le Palais de l’Elysée. C’est tout. C’est peu. (…)

« Alors que deux épisodes sont consacrés à la vie de Jésus et quelques autres à des sujets religieux (notamment le Vatican) aucun ne présentent le moindre philosophe des Lumières où ne s’intéresse à une seule figure du combat pour l’émancipation laïque. Pourquoi passer sous silence les destins de Denis Diderot, Jean-Jacques Rousseau ou Voltaire qui donnent pourtant leurs noms à tant de rues, boulevards et écoles publiques ?

« La grande famille intellectuelle du socialisme et communisme, qui a tant marqué l’histoire de France, est totalement effacée puisque ni Jean Jaurès, ni aucun autre n’était présenté. Aucun révolutionnaire français (hormis le controversé Georges Danton dans un épisode d’ailleurs plus court que tous les autres) mais Charlotte Corday qui assassina Jean-Paul Marat aura bien droit à un épisode élogieux puisant dans la tradition contre-révolutionnaire. A l’exception de l’émission consacrée au 14 juillet 1789, aucune des nombreuses Révolutions et grands moments de mobilisations sociales et politiques (1830, 1848, 1870, 1936, etc.) qui ont marqué notre pays, l’ont fait connaître dans le monde entier, et qui s’incarnent dans les destins de femmes et d’hommes remarquables n’a droit à un seul épisode. Auguste Blanqui, Louise Michel et combien d’autres sont ainsi gommés de notre Histoire. (…)

« Au total, quand on examine dans le détail cette longue liste des thèmes choisis par « Secrets d’Histoire » on est frappé par la manière dont elle efface méthodiquement des pans entiers de notre Histoire de France et universelle. D’une façon déséquilibrée, chaque épisode valorise de façon quasi systématique et outrancière des rois et reines, et même la principauté d’opérette et paradis fiscal de Monaco, au détriment de tous ceux qui ont lutté pour l’égalité et la justice.

« Ne croyons nous pas qu’il existe des femmes et des hommes ayant consacré leur existence au progrès, à la recherche, à l’émancipation humaine, dignes d’être mieux connus par nos concitoyens ? Pourquoi valoriser avec obstination des personnages qui bien souvent n’ont fait rien d’autre que « de se donner la peine de naitre » ? Finalement, avons nous si peu d’estime pour la République et celles et ceux qui ont lutté pour elle ?

« En procédant ainsi, c’est l’Histoire réelle de notre pays que l’on ampute et que l’on déforme. De cette Histoire tronquée, nostalgique des rois et reines, présentant le peuple comme un acteur historique secondaire et brutal quand il se mobilise, rien de bon pour l’avenir ne sortira. Et puis, ce que l’on nomme « les Grands Hommes » ne sont grands finalement que parce qu’ils occupent une place dans le structure sociale où sont concentrées d’immenses ressources qui sont le fruit du travail collectif des peuples. (…)

« Car quel intérêt à faire entrer au Panthéon les dépouilles de quatre grandes personnalités républicaines, comme l’a décidé le Président de la République, si la principale émission historique ne semble vouloir promouvoir essentiellement que des personnages liés à l’Ancien Régime. Étrange paradoxe, non ? Cette longue liste de « Grands Hommes » couronnés constitue au final presque un Panthéon télévisuel. Mais si les révolutionnaires de 1789 ont créé le panthéon, c’est justement pour ne pas y mettre les rois ! Ce que fait « Secrets d’histoire » est à rebours du processus qui depuis le 18e siècle a d’abord conduit les hommes des Lumières à construire la figure du « grand homme » pour lui faire une place dans la galerie des rois, pour ensuite considérer que tous les rois ne sauraient être des grands hommes, avant de montrer que bien souvent, les « Grands Hommes » sont les victimes des rois ! Finalement, « Secret d’histoire » tient plus de la basilique Saint Denis que du Panthéon.

« Nous pensons soulever là des questions qui ne sont pas secondaires. Nous sommes profondément convaincus que le passé que l’on enseigne révèle toujours le futur que l’on veut construire. Aussi, nous souhaiterions maintenant que le service public d’audiovisuel joue pleinement son rôle de service public, plutôt que d’être le promoteur de la valorisation de valeurs et d’idées antirépublicaines souvent très réactionnaires. (…) »

Pour ma part, je ne regarde jamais ce panégyrique gluant des monarques européens contemporains et passés.

En revanche, je connais pas mal de « Républicains » à la nouvelle sauce sarkozyste et de futurs « Démocrates » à la sauce Cambadélis qui en sont fort friands (oui, car ne doutons pas une seconde que les Young Leaders pullulant au PS voudront rapidement changer également le nom de leur parti afin de finaliser la métamorphose de notre offre politique nationale en rêve Américain, droite contre droite).

Les nouveaux « Républicains » et « Démocrates » du monde se délectent de ces anachronismes réactionnaires couronnés, que voulez-vous !  Pourtant Louise Michel sur des barricades, ça aurait de la gueule aussi !

5 Replies to “Le passé que l’on enseigne révèle toujours le futur que l’on veut construire”

  1. « Les nouveaux « Républicains » et « Démocrates » […] Louise Michel sur des barricades, ça aurait de la gueule aussi ! »

    T’as vu un seul politicien le pied-de-biche à la main pour donner le premier coup dans une porte pour une réquisition de logement comme on trouve la pose symbolique de la première pierre quand on est du bon côté du manche ? Comme tu réponds par la négative tu sais aussi pourquoi la gauche française obtient des résultats minables. ;o)

    Quand Ada Colau été élue on a revu des tapées de photos de la dame embraquée, brutalisée par la police. Quand on verra nos pontes du Front de gauche se faire embarquer sans ménagement et à répétition par les forces du désordre, on pourra songer à quelques victoires. En attendant on pourra continuer à se tordre les mains. On manque de beaucoup de Louise Michel.

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  2. Bravo à Alexis et Jean Luc pour cette lettre ouverte , qui prouve que le combat politique est un tout, y compris les programmes culturels développés sur le petit écran. Quand je pense qu’on parle d’un service public, ça me fout des nœuds à l’estomac ( que je soigne en laissant la zapette se couvrir de poussière dans un coin ) !

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  3. @despasperdus
    Effectivement, et même les salariés ne doivent pas être consultés, à mon avis. Tout vient d’en haut, aucune remontée de la part de ceux que cela concerne le plus, salariés et usagers. On est très loin des soviets !

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  4. Cela me fait penser que les citoyens qui paient la redevance ne sont jamais consultés sur les programmes audiovisuels et leurs contenus.
    Avec les outils dont nous disposons, ce serait pourtant possible. Idem pour la nomination des responsables des médias publics comme le suggérait notre candidat.

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