Voici ce que je lis ce matin, à l’entame de ma journée :
Le village [de Laguiole] a été condamné à payer 100 000 euros de dommages et intérêts à une entreprise privée qui produit des couteaux Laguiole… en Asie ! En effet, le propriétaire de cette entreprise a déposé la marque « Laguiole » en 1993. Depuis cette date, il commercialise des couteaux mais aussi d’autres objets sous cette marque. Un malin. Il a attaqué en justice le village de Laguiole pour « contrefaçon », l’accusant d’utiliser illégalement la marque qu’il a déposé. N’est-ce pas trop drôle, quand même, qu’un monde où de telles choses sont possibles ? (…)
Pour ce village, c’est la double peine. Premièrement, il est privé du droit d’utiliser son nom pour commercialiser le traditionnel couteau et vanter le savoir-faire de ses artisans. Deuxièmement, il est condamné à payer 100 000 euros, ce qui représente un somme très importante pour un village d’un gros millier d’habitants. Au point que le maire divers droite du village a sollicité l’aide des autres communes. (…)
Et là, je me dis, faut quand même que je vérifie cette histoire (on s’refait pas). Trente secondes et deux recherches Ixquick plus tard (ouais, parce que Google, à l’inverse de ce que prétend l’aphorisme en vogue chez les d’jeuns, n’est pas ton ami, c’est l’ami de la NSA 😉 ), plus aucun doute n’est permis. L’histoire est réelle. Ce n’était pas un poisson d’avril tardif qui aurait mis un peu de temps à remonter l’échelle de mon actualité. Parmi toutes les sources qui recoupent l’info, je ne résiste pas au plaisir, mal placé je vous le concède, de vous renvoyer à celle du Point, l’un des plus grands chantres des politiques qui permettent justement que ces situations existent (avec le Monde, et l’Express, et Libé, et le Nouvel Obs, et le Figaro, et le Parisien, hum, bref, avec tous les autres), article qui retranscrit une dépêche AFP (un autre troubadour masqué notoire du libéralisme sauveur) :
Un habitant du Val-de-Marne, Gilbert Szajner, a déposé dès 1993 la marque Laguiole sur 38 classes de produits. Ce nom est utilisé pour vendre des couteaux, des barbecues, du linge de maison, des vêtements ou des briquets, fabriqués parfois en Chine ou au Pakistan. Le 4 avril, la cour d’appel de Paris a débouté la commune de 1 300 habitants [de Laguiole] qui souhaitait voir la justice reconnaître « une spoliation », une pratique commerciale « trompeuse » et une « atteinte à son nom, à son image et à sa renommée ».
L’affaire dure même depuis plusieurs années.
À la lecture de cette nouvelle, deux réactions sont possibles.
D’abord celle, digne, calme, responsable, analytique, concrète, en un mot, politique (au sens noble du terme, pas au sens Copéïen, mais vous aurez compris), qui tente de ré-expliquer (pour la trente cinq millième fois, bordel !) les tenants et les aboutissants de cette situation, qui explicite le cadre législatif Européen qui imposait cette décision de justice, qui rappelle où se situe les responsabilités initiales, et qui élargit enfin le débat afin de proposer ses solutions pour sortir de ce genre d’inepties. Je pense par exemple, à la réaction de M. Mélenchon :
Le juge applique la loi. La loi est injuste, le juge le devient à son tour comme son instrument. La justice ne se préoccupe pas d’être juste. Il lui faut seulement être légitime et légale au pied de la lettre. Comment le droit et la justice peuvent-ils protéger l’utilisation de la marque « Laguiole » par une entreprise qui produit ses objets hors d’Europe et en priver un village qui a donné son nom à ce couteau ? Il a bien fallu que que d’aucuns s’en émeuvent après nous, si bien qu’une loi récente a permis d’étendre aux produits non alimentaires la protection « indication géographique protégée ». Mais pour Laguiole, c’est trop tard. Ultime espoir : que le le village parvienne à obtenir gain de cause auprès de l’OHMI, l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur. C’est le nom de l’agence européenne chargé de gérer les systèmes d’enregistrement des marques et modèles dans l’Union européenne. Jusqu’ici, la Commission européenne n’a pas bougé une oreille. Il est vrai qu’elle n’en a pas pour ce qui est des plaintes de petits villages de mille habitants, et encore moins pour des casse-pieds avec leurs histoire de couteau. Il est vrai que ce qui rend l’affaire plus pénible, c’est que le Commissaire européen à la Concurrence est pourtant un « socialiste ». C’est l’espagnol Joaquin Almunia. Il est l’un des sept commissaires membres du Parti Socialiste Européen dans la Commission Barroso. Il n’a rien fait ni même rien dit. Il sert seulement à interdire les aides publiques aux secteurs stratégiques au nom de la « concurrence libre et non faussée ». Un androïde nourri au manchego produit en Chine et découpé en Irlande avant d’être emballé au Portugal et transporté en camion tchèque conduit par un Letton jusqu’au monoprix de Bruxelles. Ou sûrement quelque chose d’approchant si on y regardait de près.
Cette affaire témoigne bien de ce qu’est le capitalisme contemporain, financier et transnational. En effet, la logique à l’œuvre dans les firmes transnationales repose de plus en plus sur les marques et les brevets. (…) La fonction de production, les usines, les machines sont progressivement filialisées, sous-traitées et si possible abandonnées. Les grands groupes recentrent leur stratégie de profit sur la possession de ce qui rapporte le plus en coûtant le moins : les marques. Du moment qu’ils possèdent une marque, les grands groupes se moquent de savoir où et comment l’objet est produit. (…)
En tous cas, avec l’affaire Laguiole, nous avons un exemple supplémentaire qui nous permet d’expliquer concrètement à la fois le danger et son origine dans la mutation du capitalisme de notre époque. (…) Nous défendons aussi les productions et les savoir-faire locaux, et pas seulement les producteurs comme personnes abstraites considérées hors de tout contexte, de toute culture, à qui produire n’importe quoi, n’importe comment, suffirait à contenter le sort ! Notre façon de voir nous permet d’entrer dans la discussion sur le contenu des productions, leur utilité sociale, leur respect de la règle verte et ainsi de suite. La rupture avec le productivisme, c’est aussi décréter la fin de la sacralisation des productions compte tenu de ce qu’elles sont et de ce qu’elles impliquent ! Nous sommes partisans de la relocalisation de l’activité au moyen de la planification écologique de l’activité. Il est temps de montrer à travers ces exemples comment le renforcement des droits des producteurs, artisans ou salariés, face aux financiers qui vampirisent l’économie a un double contenu écologique et social. Laguiole a, malgré lui, rejoint les salariés de Fralib à l’avant-poste de cette bataille.
Mais de politique, tout le monde se fout ! C’est malheureux, mais c’est ainsi. Y’a qu’à lire les commentaires à la suite de l’article du Point pour se rendre compte à quel point les cerveaux sont déconnectés, comme celui de cet abruti (je ne trouve pas d’autres mots, ah si, crétin peut-être) :
«Qu’attendez-vous pour déposer des brevets, faites vite, sinon i? y aura des brevets Laguiole » a toutes les sauces « . Et s’il n’y a plus de place pour des Laguiole, appelez les autrement avec la mention brevetée » fabriqué a Laguiole » et un » poinçon » comme en argenterie. Ensuite une campagne « de com » pour faite savoir comment s’appellent les vrais Laguiole. »
Putain ! Mais c’est bien sûr ! Suffisait d’y penser ! Tiens, et si ils prenaient … une abeille (j’sais pas moi, j’dis ça comme j’aurais dit autre chose) comme « poinçon » et … « Laguiole » comme nom pour appeler … « les vrais Laguiole » ! Non mais quelle truffe (ah bin tin, voici encore un autre substantif qui sied à merveille) !
Bref, comme je le disais, il y a une deuxième sorte de réaction. Car si le maire est « divers droite », c’est que les habitants de ce charmant bourg de l’Aveyron ont voté majoritairement pour … la droite (socialiste ou umpiste, peu importe, ils votent la même chose au Parlement Européen). Vous vouliez donc du libéralisme ? Ben, voilà. Vous avez le libéralisme. Alors, heureux ? Faut assumer les gars. C’est bien la valeur de base de la droite, nan, la responsabilité individuelle ? Manquerait plus qu’y viennent se plaindre qu’ils n’ont plus d’hôpital à proximité ! Sans déconner !
Et vous savez quoi ? Franchement, désolé pour la solidarité et tout ça, mais là, ce matin, à l’entame de ma journée (‘fin, qui est déjà bien entamée du coup), c’est plutôt la mienne (de réaction).
Mais bon, je me connais, ça va me passer …
Feta made in Denmark.
Camembert de Belgique.
Champagne de Russie. Ou de Hongrie.
Cognac du Chili.
Bordeaux rouge d’Australie.
On est chez les dingues ou chez les pirates ?
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