Quelques anticipations sur le TTIP (le grand marché transatlantique)


En cette grisâtre veille de fête des morts, je me devais de lire quelque chose d’adapté.  Quelque chose de bien déprimant et de bien révoltant, vous voyez le genre.  Mon choix s’est donc porté tout naturellement sur un rapport économique étasunien, émanant du Economic Policy Institute, concernant les attaques législatives du régime étasunien sur le monde du travail aux États-Unis.

Pourquoi ce rapport concernant le travail aux États-Unis est-il intéressant, à mon avis, pour nous autres pauvres européens?  Parce qu’il préfigure ce qui nous attend.  S’instruire sur les conditions économiques et sociales aux US, c’est malheureusement un peu comme lire dans le marc de café concernant nos propres futures conditions.  Depuis l’avènement du capitalisme débridé, le régime étasunien constitue en effet le laboratoire lugubre où se concoctent les pires recettes qui sont ensuite exportées sur toute la planète, y compris sur notre vieux continent.  Cela me rappelle d’ailleurs quelques camarades étudiants, il y a bien des lustres de cela, qui déjà à l’époque répétaient sans cesse, des étoiles (environ une cinquantaine) plein les yeux, des bandes (environ une grosse douzaine) sur leur R8 gordini, à propos de tout et n’importe quoi: « putaingue (cela se passait à Marseille ;-)), on a au moins vingt ans de retard sur les ricaingues ici, mais tu verras, ça finira par arriver chez nous aussi ».

Le rapport, pour en revenir à lui, fournit une étude détaillée de toutes les lois, votées sur 2011-2012 à travers tous les états étasuniens, qui attaquent, portent atteinte, restreignent ou abrogent les standards, les protections et les acquis des travailleurs dans ce pays de damnés de la terre:

Je sais que notre belle Europe qui protège (le Capital) met les bouchées doubles pour tenter de rattraper le plus vite possible notre retard préoccupant, accumulé pendant les 30 glorieuses, pour tout ce qui concerne la dé-protection des travailleurs et à la destruction du bien commun.  Je sais que la France, et les divers gouvernement qui se sont succédé à sa direction depuis 20 ans, accentue sans cesse ses efforts, de septennats en quinquennats, pour faire partie du groupe de tête dans cette course effrénée à la restauration de la sauvagerie sociale.  Je sais que le quinquennat de Hollande restera probablement dans l’Histoire comme celui qui aura le plus apporté à la Grande Cause de l’asservissement du travailleur et de l’annihilation de ses espoirs d’une vie meilleure.

Mais, jusqu’au TTIP, les apôtres, que dis-je, les Templiers du capitalisme gardaient une tête d’avance dans cette course mortifère à l’esclavagisation des peuples.  Or bientôt, nous serons tous égaux dans le 19ème siècle.  Car le TTIP, pour l’instant en cours de négociation (suivant un mandat qui n’a d’ailleurs jamais été accordé aux négociateurs par les peuples européens, mais on commence à être habitué, voire, à apprécier, semblerait-il, vue notre apathie), sera un jour ratifié.  Et ce jour, les derniers restes fumants du CNR s’écrouleront comme un château de cartes de tarot soufflé par une flatulence claironnante d’un Gargantua (ou d’un Shrek, pour nos amis égarés épris de sous-culture inculte étasunienne) en pleine digestion d’un monumental plat de flageolets fourrés aux lentilles.

Le TTIP, c’est le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI en français, et TTIP en anglais), en d’autres termes le grand marché de libre échange total entre l’Union européenne et les États-Unis, le chef d’œuvre du Capital fantasmé par tous les puissants des deux côtés de l’Atlantique.   Je vous en avais déjà touché un petit mot.  Si vous ne voyez pas de quoi je parle (ça m’étonnerait, vous connaissant ;-)), il faut absolument aller lire, au minimum, cette série de 2 articles (1 et 2).

L’objectif de ce traité étant d’éliminer tous les droits de douane, les restrictions quantitatives, les réglementations et les barrières non tarifaires dans tous les domaines (produits, services, agriculture, sanitaire, phytosanitaires, techniques, artistiques, etc), seuls quelques incultes romantiques inconsistants (et quelques perfides calculateurs intéressés) peuvent croire (ou prétendre croire) que cette harmonisation se fera par le haut, dans l’intérêt des travailleurs s’entend.  Bien entendu, nul doute que les faiseurs de loi homogénéiseront tout ça dans le sens qui les sert, dans l’intérêt de ceux qui gagnent de l’argent en ne foutant rien (ou pas grand chose).

Et donc, anticipons bientôt chez nous, comme sous le régime étasunien:

  • la suppression du SMIC,
  • l’autorisation du travail des enfants,
  • l’obligation de travailler pour un salaire à 60% de ses compétences
  • et l’abolition des congés maladie

En même temps, peut-être Hollande n’aura-t-il même pas la patience d’attendre la ratification de ce nouveau traité et nous l’imposera-t-il avant !  Qui sait ?

Avec la droite complexée, tout peut arriver.

6 Replies to “Quelques anticipations sur le TTIP (le grand marché transatlantique)”

  1. @Wild ar-Rachid
    Merci pour votre lien. Effectivement, je n’avais pas lu le texte adopté en mai 2013 par le Parlement Européen sur les négociations du futur accord entre l’Union européenne et les États-Unis. Il y est effectivement fait allusion à l’OIT au point 16. Je cite (pour ceux qui n’ont pas le courage d’aller directement à la source):

    « [Le Parlement européen] … estime qu’il convient de tenir compte de l’expérience des accords commerciaux antérieurs de l’Union et des engagements de longue durée entre l’Union et les États-Unis afin de renforcer le développement et l’application de la législation et des politiques en matière de travail et d’environnement et de promouvoir les normes et les critères fondamentaux de l’Organisation internationale du travail (OIT) »

    estime … il convient … tenir compte … renforcer … promouvoir … critères fondamentaux … Y’me font trop rire ces verbeux eurocrates.

    Quand on sait que les USA ne veulent même pas ratifier le traité de l’OIT lui-même, on reste pantois devant tant de crédulité, ou de vice (selon le crédit que l’on porte à leur honnêteté intellectuelle), de la part de nos chers eurodéputés. Aucune chance que l’accord que la Commission négocie (et non pas le Parlement) permette de « promouvoir les normes et les critères fondamentaux de l’OIT ». Cela restera du domaine du vœu pieu, ou de l’ouverture de parapluie par anticipation (selon le crédit que l’on porte à leur perspicacité intellectuelle).

    « Espérons que nous serons de plus en plus nombreux à les voir ainsi! »:
    Oui, espérons … et continuons d’essayer de convaincre, puisque c’est tout ce que nous pouvons faire (en tout cas, moi).

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  2. @SimplyLeft

    Nous sommes donc d’accord sur tout 😉

    « je suppose que vous faites référence à l’article 8 du mandat de négociation du futur traité entre USA et UE »

    Sans vraiment y croire (d’où mon « en théorie »…), je faisais référence au §16 de la résolution du Parlement européen sur le mandat:

    Négociations en vue d’un accord en matière de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis (23/05/2013), http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2bTA%2bP7-TA-2013-0227%2b0%2bDOC%2bXML%2bV0%2f%2fFR&language=FR

    «  Ou peut-être vois-je trop les choses en noir  »

    Trop, je ne crois pas… Espérons que nous serons de plus en plus nombreux à les voir ainsi!

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  3. @Wild ar-Rachid
    Merci pour votre intervention.

    Sur la « démocratie sociale » made in Hollande, je suis en total accord avec votre analyse. J’en avais d’ailleurs touché un mot pendant la campagne présidentielle de 2012.

    Concernant le TTIP (ou GMT, ou APT, accord de partenariat transatlantique, puisqu’il n’a pas encore de nom définitif), puisque l’accord n’est pas encore définitif, et qu’on a beaucoup de mal a obtenir des « fuites », je suppose que vous faites référence à l’article 8 du mandat de négociation du futur traité entre USA et UE:

    « 8. L’Accord devrait reconnaître que le développement durable est un objectif fondamental des Parties et qu’il visera à assurer et faciliter le respect des accords et des normes environnementales et sociales internationales tout en favorisant des niveaux élevés de protection de l’environnement, du travail et des consommateurs, compatible avec l’acquis européen et la législation des États membres. L’Accord devrait reconnaître que les Parties n’encourageront pas le commerce ou l’investissement direct étranger par l’abaissement de la législation et des normes en matière d’environnement, de travail ou de santé et de sécurité au travail, ou par l’assouplissement des normes fondamentales du travail ou des politiques et des législations visant à protéger et promouvoir la diversité culturelle. »

    À mon avis, il serait bien naïf de faire confiance (encore une fois) à ce genre de rhétorique fumeuse qui existe déjà dans la plupart de nos traités européens existants, ou ceux de l’OMC, ou ceux de l’OCDE, sans pour autant que cela ait empêché la jurisprudence européenne de donner systématiquement l’avantage au droit à « la concurrence libre et non faussée » sur les législations salariales et sociales des États membres.

    Surtout que le régime étasunien n’a pas ratifié le traité international de l’OIT. Or, étant donné que le futur « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement [devra être] basé sur des valeurs communes » (article 1 du mandat de négociation), il est illusoire d’invoquer des conventions internationales auxquelles l’un des 2 partenaires refuse d’ores et déjà d’adhérer, dont l’OIT (parmi bien d’autres),

    En revanche, il est fort probable que le futur traité permettra d’attaquer en justice tout État qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme. En effet, selon les articles 43 et 45 du mandat de négociation, « l’Accord mettra en place une structure institutionnelle en vue de garantir un suivi efficace des engagements découlant de l’Accord », et « l’Accord comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié, ce qui fera en sorte que les parties respectent les règles convenues. »

    Ici, on peut imaginer (sans faire preuve d’un mauvais esprit délirant) qu’il s’agira probablement d’un mécanisme analogue à celui qu’on trouve déjà dans l’Accord de Libre Échange de l’Amérique du Nord (ALENA), mécanisme qui agit indépendamment des juridictions nationales qui se voient dépouillées de leurs compétences dans les matières couvertes par cet Accord. Ce mécanisme permet ainsi aux multinationales de traîner en justice les gouvernements (nationaux ou locaux) dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits ou de réclamer de généreuses compensations pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par une législation environnementale trop « spoliatrice ». Le mécanisme de l’ALENA n’a pas d’instance d’appel. Et les frais des procédures (quel que soit le jugement rendu) est toujours à la charge des États.

    Concrètement, l’ALENA , a permis, par exemple, au groupe étasunien RENCO d’engager des poursuites contre le Pérou pour protéger son « droit de polluer », le géant de la cigarette Philip Morris d’assigner l’Uruguay devant un tribunal spécial, incommodé qu’il était par les législations antitabac locales, ou encore le groupe pharmaceutique américain Eli Lilly de « se faire justice » face au Canada, car mécontent de leur système de brevets.

    Il existe 14 400 compagnies américaines qui disposent en Europe d’un réseau de 58 800 filiales. Au total, ce sont donc 75 000 sociétés qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics.

    Dans ces conditions, il est pratiquement assuré que rien que la menace de poursuite devrait venir à bout de n’importe quelle volonté politique, même les mieux intentionnées vis à vis des travailleurs (ce qui n’est en outre pas le cas de nos gouvernants actuels).

    Ou peut-être vois-je trop les choses en noir 😦
    À bientôt.

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  4. Merci pour cette analyse et le lien vers ce rapport glaçant.

    En théorie, si on en croit l’état actuel des négociations, le TTIP intégrerait les recommandations de l’OIT concernant la réglementation du travail, ce qui ne devrait pas permettre des régressions aussi violentes en Europe.

    Mais d’un autre côté, la volonté de Hollande(*) de constitutionnaliser la prééminence du contrat sur la loi et d’étendre les compétences réglementaires aux régions (« expérimentation sociale » pour développer la compétitivité territoriale) ne présage rien de bon pour l’avenir du travail en France.

    (*) http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/14/il-faut-avoir-confiance-en-la-democratie-sociale_1535809_3232.html

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  5. On nous servira cette soupe en nous disant qu’il n’y a pas d’alternatives, que c’est pour notre bien ( mais plus tard ) et que de toutes façons on n’est pas seuls à décider, donc on n’y peut rien …… Si le processus de négociation et de ratification aboutit (on sait jamais, on peut espérer un grain de sable dans les rouages, genre Snowden, en pire ) les conséquences seront rapidement terribles pour tous. Peut être la goutte d’eau qui fera déborder le vase ?

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