La conférence sociale vient de s’achever. La chaleureuse brise trompeuse s’est dissipée. Les nuages en camaïeu de gris, quant à eux, persistent et s’amoncellent même de plus belle. 8 000 nouveaux gros cumulus sont encore arrivés ce matin, porteurs de dévastation et probablement d’électricité (que j’espère dynamique plutôt que statique). J’ai beaucoup de mal à me convaincre de publier ce billet commencé hier. L’humour, hum, j’sais plus trop. Allez, essayons tout de même.
N’écoutant que mon (très) grand cœur qui n’a d’égal, en tout humilité ;-), que ma (très) impressionnante clarté d’analyse, je souhaitais proposer à Madame Parisot, une idée que, j’en suis sûr si par bonheur elle fréquente régulièrement ce blog, elle ne tardera pas à faire sienne, tellement elle est trop de la balle du top de la classe qui tue (l’idée, pas Mme Parisot, bien sûr, sots que vous êtes). Le gouvernement a retardé d’une journée la publication de sa « feuille de route sociale », le document qui est censé synthétiser les grandes lignes de néant qui ont été abordées (je n’ose dire « décidées ») lors de cette conférence du vide. Il est donc encore temps d’y intégrer la proposition qui suit.
Alors voilà. Tout le monde (je ne parle, bien entendu, que du monde qui passe dans la boite à images parlantes du salon) n’a que les mots « compétitivité » et « coût du travail » (oui, je sais, ça, c’est 3 mots, on s’en fout, restons concentrés) à la bouche. Les socialistes ne sont d’ailleurs pas les derniers à s’épanouir sur ce registre. Rassemblés dans la même phrase, cela donne le sophisme éculé mais toujours très vigoureux que tout le monde a déjà certainement entendu mille fois: le coût du travail en France est trop élevé par rapport aux autres pays, donc cela nuit à notre compétitivité, donc les entreprises sont forcées de licencier en France et de se délocaliser là où le coût du travail (2 fois dans la même phrase, ça marque mieux les esprits) est moins important. Je serais, à ce propos, fort étonné que quelque grand penseur de la pensée unique « ne profite pas » de l’annonce de PSA de ce matin pour relancer avec ferveur cette même ritournelle.
Je me suis mis à douter. Car, quand on y pense, il est impossible de nier que, plus un employeur paye cher pour le travail qui est effectué dans son entreprise, que ce soit sous la forme de salaires ou de cotisations sociales, plus il est mis en difficulté par rapport à des employeurs qui déboursent beaucoup moins pour ces faveurs anachroniques accordées par charité d’âme à ces individus ingrats et mal fagotés que sont les travailleurs. Qu’à cela ne tienne ! Osons l’esclavage ! Plus de salaires. Plus de cotisations sociales. Un « coût du travail », comme ils disent, nul. Zéro. Du coup, un patron pourrait « embaucher » autant de monde qu’il le souhaite, quand il le souhaite. Tout le monde aurait du travail et le problème du chômage serait réglé. Comme ce serait beau. D’ailleurs, puisque nous y sommes, je me permets de glisser à l’oreille de nos bons dirigeants (déjà totalement conquis par l’idée de la réhabilitation de l’esclavage, je le sens) une autre « réforme » qui pourrait favoriser l’expansion de nos entreprises: la suppression pure et simple de l’impôt sur les sociétés. Voilà qui boosterait certainement les vocations de chefs d’entreprises, ne pensez-vous pas ?
J’entends déjà quelques esprits chagrins objecter que les salaires sont l’unique moyen de subsistance des salariés (« les salariés sont des êtres humains comme les autres », prétendent-ils même parfois, ils sont vraiment impayables ces esprits chagrins) et qu’ils devraient donc, ces salaires, permettre à ceux qui les perçoivent d’en vivre décemment. Mais quel rapport ! Nous devons rester fermes là-dessus. L’unique objectif à atteindre est bien de donner du travail à tous. Point. Si en plus il fallait pouvoir en vivre, et décemment de surcroit, mais franchement, où irait- on ? De même, j’entends les mêmes esprits chafouins arguer que les cotisations sociales sont un salaire différé qui permet à chacun, grâce à la solidarité nationale, de continuer de vivre à peu près décemment pendant les phases de vie plus difficiles, comme les périodes de chaumage, de maladie ou de vieillesse. Balivernes ! Si quelqu’un veut continuer de vivre décemment lorsqu’il est viré, malade ou vieux … et bien … qu’il crée sa multinationale, et pis c’est tout. Ou qu’il mendie. Et qu’il s’éteigne doucement, sans bruit, à l’écart, merci d’avance. Car finalement, la question de savoir comment vivent les salariés à salaire nul n’est qu’une externalité du système. L’important, c’est qu’ils aient un travail … salarié, n’est-il pas exact ?
Mais un doute m’assaille, tout de même. Car ma (très) impressionnante clarté d’analyse 😉 me pousse toujours un peu plus loin dans le labyrinthe glacé de … l’analyse théorique, justement. Imaginons. Rêvons. Nous voilà donc, nous français, rendus hyper-compétitifs grâce à notre recette magique de l’esclavage. Parfait. Déjà, je savoure. Et puis, que va-t-il se passer, me demandé-je alors, l’œil torve et me grattant le sommet du crâne de mon index droit ? La réponse est dans la question, bien sûr. Dans le mot « compétitif », plus précisément. La compétition va pousser les autres pays sur le même chemin de la réforme moderne et salvatrice. Esclavage pour tout le monde ! Trop top ! Tout le monde devient hyper-compétitifs ! Tous les pays se mettent à fabriquer des produits pour un coût de production de zéro euro. Et tout le monde a du travail. C’est magnifique. Snif. Heureux mais perplexe, je continue à m’enfoncer plus avant dans mon labyrinthe dialectique à 2 balles. Oui, mais, les produits ainsi fabriqués dans un pays, ils sont vendus à qui au juste ? Évidemment, j’exclue immédiatement les salariés du pays en question, puisqu’ils n’ont plus de revenus. Mais alors à qui ? Ben, aux autres pays, gros bêta ! C’est ça le modèle « compétitif », t’es pas au courant ? L’exportation, voilà la clé de la croissance. Tous les grands analystes économiques people de la télé le disent d’ailleurs. Ce doit donc être la vrai vérité qui tue. Regarde le modèle allemand ! Tu affames tes propres travailleurs et tu vends aux travailleurs des autres pays ! T’as compris maintenant ?
Le doute continue cependant de me tarauder. La discussion intérieure entre moi-même et moi-même fait rage. Oui, mais … si tout le monde est « hyper-compétitif », si le « coût du travail » est nul de partout, si plus aucun travailleur ne peut plus acheter quoi que ce soit, à qui pourra-t-on exporter nos produits fabriqués en France ? Quel pays aura encore des travailleurs-consommateurs capables d’acheter les Volkswagen Allemandes ? Et même la Chine, dans quelques années, comment trouvera-t-elle encore des débouchés à l’exportation pour ces petites robes en coton si mame Dupuis, caissière à Carrefour de Châlon en Champagne, n’a même plus 10 € pour se la payer ?
Patatras. Voici, ma belle idée 😉 qui se dissout dans son propre acide. La vérité crue apparait. La guerre de la compétitivité, par compression continuelle du prix du travail (et non pas son coût, messieurs dames les beaux penseurs), qui fonde toute l’économie d’un pays sur l’exportation, n’est pas viable sur le long terme, encore moins dans un monde globalisé. Car, somme toute, dans un système économique fermé (tout mondialisé qu’il puisse être, il n’en demeure pas moins fermé, à moins d’essayer d’exporter nos pots de peinture rose aux petits hommes verts qui pullulent sur la planète Mars, comme chacun sait), la balance commerciale excédentaire des uns ne peut correspondre qu’à des importations des autres. Plus je veux exporter, plus il faut trouver des importateurs. Logique, nan? (Il n’est pas inutile, par ces temps de cloisonnement de la pensée, de ré-enfoncer quelques portes ouvertes.)
Mais quel indécrottable gauchiste je fais ! Je me rends compte que je viens tout simplement de redécouvrir 😉 la contradiction interne, intrinsèque, inhérente au capitalisme, si longuement explicitée par KM (je ne cite pas de noms pour ne pas effrayer le chaland PS qui se serait égaré sur ce blog de perdition sans autorisation parentale).
En indécrottable gauchiste, je repense alors à la Charte de la Havane, dont je vous ai déjà parlé. Et je m’imagine, l’œil humide et me grattant le sourcil de mon index gauche, ce qu’aurait pu être un monde fondé sur la coopération économique internationale, la stimulation de la demande intérieure, l’équilibre de la balance des paiements (équilibre réglementé entre exportations et importations) et l’adoption de normes de travail équitables dans chacun des États membres … C’était envisageable alors, il y a plus de 60 ans, si seulement le congrès américain n’avait pas rejeté cette charte préférant développer l’autre vision du monde, basé sur la compétition de tous contre chacun et organisé par l’OMC, notre monde actuel.
Et que l’on ne me traite surtout pas de doux rêveur, d’utopiste, d’irréaliste. Qui est irréaliste ? Est-il franchement réaliste aujourd’hui de continuer de croire que le système capitaliste compétitif totalement dérégulé soit porteur de prospérité et de bonheur ? Allons, soyons sérieux.
Mais pour être sérieux, il faut faire ses devoirs. Alors, pourquoi ne pas commencer par tenter d’en savoir un peu plus sur la Charte de la Havane, tenter de comprendre comment pourrait fonctionner un commerce international à balances commerciales bilatérales équilibrées, tenter de visualiser les étapes du processus de changement qu’il est encore temps de démarrer aujourd’hui, en marge de l’OMC, deux à deux, doucement, pourquoi ne pas écouter cette petite interview (à peine 20 mn) de Jacques Nikonoff sur le sujet:
Maintenant … qui est sérieux, raisonnable et réaliste ?
La Peuge sera le cauchemar du gouvernement.
Ou bien il adopte la posture de Jospin-Michelin et, après les émeutes, les prochaines élections lui seront fatales.
Ou bien il adopte la posture Front de Gauche et toute la droite, depuis l’UMP jusqu’à la médiacratie en passant par le Medef, ne va pas aimer, mais alors pas du tout et le fera savoir chaque soir à vingt heures et chaque jour dans le journal.
Dans les deux cas il va y avoir du mécontentement très vif alors que notre gouvernement voudrait réconcilier les Français. Et convaincre le chou que la chèvre…
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