Syriza m’était conté


Les élections françaises, que ce soit la présidentielle ou les législatives, sont déjà de l’histoire ancienne et ne changeront rien à l’Histoire, la grande.

Heureusement, les (nouvelles) législatives grecques arrivent !  C’est dimanche prochain.  Deux formations politiques sont données au coude à coude par les sondages (avec des écarts abyssaux entre les différents instituts, mais c’est tout le charme de cette « science » divinatoire qu’est l’étude d’opinion, n’est-ce pas?).  Les deux possibles vainqueurs seraient ainsi, soit la Nouvelle Démocratie (ND), soit la Syriza.  Vraie droite contre vraie gauche.  Une véritable alternative politique s’offre donc à nos frères Grecs.  Et ça, c’est l’Histoire !

Vous aurez notez que la totalité des belles personnes et des parfumés européens a déjà fait son choix, et l’exprime haut et fort sur tous les toits médiatiques qui pullulent de ces Aristochiens de garde, d’Athènes à Paris,  de Londres à Berlin, de Washington à Madrid.  Il faut que les Grecs redeviennent « raisonnables », il faut qu’ils rentrent dans le rang, il faut qu’ils comprennent, car au fond, c’est pour leur bien que l’Europe, elle se décarcasse, il faut impérativement que ND l’emporte.  Car si les électeurs grecs ont le mauvais goût, la stupidité, l’outrecuidance, l’irrespect, que dis-je, l’ingratitude de placer Syriza en tête, alors là, ce sera l’Apocalypse, promis, et c’est vrai que la menace porte, car il faut bien admettre, qu’en termes Apocalypse, ils s’y entendent, les bougres.

Regardons donc de plus près  ce programme qui effraie tant de monde.  Sera-t-il possible d’endiguer les mythes les plus absurdes qui circulent sur leur projet de société ?  Pas facile.  On vient d’en faire l’amère expérience dans notre si beau pays, avec les approximations fainéantes, les simplifications formatées, les amalgames machiavéliques et les mensonges partisans qu’a subi le programme du Front de Gauche lors de ces deux campagnes électorales, sur lesquelles l’herbe aura beaucoup de mal à repousser.  Une présentation du programme de Syrisa, faite par Alexis Tsipras, leader de la formation, a eu lieu ce vendredi 1 Juin dernier.  Dommage que je ne comprenne quedalle à cette langue pourtant très vivante.  Mais heureusement, Okeanos en en mis une traduction en ligne sur son site.  Et j’ai pu recouper avec d’autres sources comme cet article de La Tribune ou des informations glanées sur divers autres sites dont le blog personnel de Jean-François Copé (nan, là, j’déconne, juste pour voir si vous suivez ;-)).

Alors, disons-le tout de suite, il n’est nul part fait mention d’une quelconque volonté de dévorer, accommodés à l’huile d’olive et aux figues sèches (comme il se doit), les bébés des armateurs grecs, ni de marquer au fer rouge d’un Σ qui veut dire ΣΥΡΙΖΑ (Syrisa), ceux qui gagnent plus que le SMIC, ni d’envoyer les popes orthodoxes aux travaux forcés (le remplissage du tonneau des Danaïdes qui dure depuis la mythologie,  les cinquante filles du roi Danaos ne parvenant pas, semble-t-il, à se débarrasser de cette tâche par leurs propres moyens), ni même, de tremper dans le goudron chaud et les plumes de Stymphale les représentants de la troïka (Union Européenne, BCE et FMI) présents dans le pays.  Ouf, nous voilà rassurés !

Il n’est d’ailleurs pas plus question de vouloir sortir de l’Euro.  Abordons d’emblée ce point, car, comme pour le programme du Front de Gauche, voici un procès qui a souvent été fait à Syrisa.  Encore hier, tiens.  La possibilité de sortie de l’euro est uniquement utilisée par les adeptes de la pensée unique de l’austérité troïkienne, comme moyen de chantage sur le peuple grec dans la perspective des élections à venir.  Syrisa estime que cette possibilité ne peut pas vraiment être un choix responsable de la part des partenaires européens de la Grèce, « à moins qu’ils n’aient décidé la destruction de l’euro et le démantèlement de la zone euro ».  Car si un pays quitte la monnaie unique, les marchés anticiperont la sortie du pays suivant, et ainsi de suite, créant alors un effet domino dévastateur et très redouté.  Conscient qu’aucune autorité politique ne souhaite cela, Tsipras inverse donc le chantage (bien vu le cyclope!) en misant sur la volonté des peuples de chercher une solution européenne commune, qui permettra d’éviter la poursuite de la catastrophe en Grèce et le début de la catastrophe dans d’autres pays européens.  En bref, Syrisa ne souhaite nullement sortir de l’Euro, mais fait adroitement remarquer que la perspective d’un effondrement de la zone euro deviendra de plus en plus probable si les politiques des mémorandums (les politiques de rigueur imposés par la troïka) continuent.

Pour le reste du programme, résumé ci-après,  Syriza ne promet pas de « raser gratis ».  Tsipras a prévenu que la « route sera difficile ».   « Nous ne disons pas qu’il y aura de l’argent facile », a-t-il assuré, avant d’ajouter que les Grecs étaient prêts à faire des efforts : « les Grecs ne veulent pas de charité, mais ils veulent du travail ».  Alors, heureuse, Angela ?

  1. Abrogation des mémorandums et des lois d’application qui en découlent: et principalement le deuxième memorandum, appelé affectueusement second « plan d’aide » à la Grèce, que le gouvernement grec et l’Eurogroupe ont voté le 20 février 2012 (et synthétisé dans cette déclaration de 3 pages ) et dont le but est, je le rappelle tellement ç’en est ridicule, de ramener la dette publique grecque en 2020 sensiblement à son niveau … d’avant la crise.
  2. Condamnation des accords de prêts: la priorité accordée au remboursement des prêts, par rapport aux besoins internes et à la souveraineté nationale exprimée au travers de l’immunité des biens d’État, sera abolie.  La manière, le calendrier, ainsi que tout l’aspect politique et juridique de cette condamnation et la renégociation des accords de prêt seront décidés par le gouvernement.
  3. Effacement de la plus grande partie de la dette: négociation complète de la dette à un niveau européen dans le but d’une éradication de la plus grande partie de celle-ci et d’un remboursement du reste lié à la croissance et à l’emploi, sur le modèle des décisions prises pour l’Allemagne en 1953.   L’objectif est de parvenir à une solution juste et viable pour tous les peuples de l’Europe.  Les actions unilatérales, par exemple une sécession des paiements, seront prises si la Grèce y est forcée en vue de défendre le droit du peuple à la survie.
  4. Nationalisation des banques: la recapitalisation des banques par actions ordinaires, après vote, avec retour sous la propriété de l’État national. Les banques seront sous contrôle du social et de l’État, afin qu’elles soient utilisées pour la mise en œuvre d’un nouveau développement, un crédit productif et social et une politique des finances destinée à couvrir les besoins sociaux.
  5. Placement des dépenses de l’État sous contrôle:  maintien du niveau des dépenses sociales à 43 % du PIB, sous la moyenne européenne de 46 %, mais au-dessus des 39 % imposés par le mémorandum.  L’idée est de ne pas laisser imposer le rythme de l’assainissement budgétaire par la troïka.
  6. Contrôle par l’État des entreprises stratégiques: les entreprises stratégiques seront progressivement passées sous contrôle de l’État, que ce soient celles qui sont dans le processus de privatisation ou celles déjà privatisées (DEH, OTE, OSE, ELTA, EYDAP, transports publics, etc).  Le calendrier, la manière, la vitesse et les moyens par lesquels le programme stratégique fondamental et non négociable se concrétisera, sera déterminé par le gouvernement.
  7. Réforme fiscale et redistribution de la richesse: refonte complète du système fiscal, en supprimant notamment les 58 exemptions qui existent pour les armateurs, en combattant l’évasion fiscale et en réorganisant l’administration des impôts.  Un registre précis des fortunes sera établi, permettant de mettre en place un « impôt plus juste » frappant « les plus riches ».  La TVA sur les produits de base sera réduite afin de relancer la consommation.
  8. Travail et social: Le salaire minimum à 751 euros par mois sera rétabli, ainsi que les allocations de chômage et les pensions minimales, et les mesures de libéralisation du marché de l’emploi adoptées par Lukas Papademos seront abrogées.  Annulation de tous les prélèvements d’urgence, avec leur annulation immédiate pour les revenus faibles et moyens et avant tout pour les chômeurs, les travailleurs à faible revenu et les retraités à faible revenu et tous ceux vivant sous le seuil de pauvreté.

Voilà donc de quoi il est question.  D’après la revue bolcho-communiste à tendance anarchiste qu’est la Tribune, le programme de Syrisa est une alternative économique crédible, grâce notamment à la suppression les 58 exemptions fiscales accordées aux armateurs.  Comme quoi, il n’y a pas que la partie Dépenses dans le budget d’un État, il y a aussi le volet Recettes.  Depuis le temps qu’on le rabâche !

C’est fou comme le vocabulaire évolue avec le temps.  Aujourd’hui, un programme comme celui de Syrisa ou celui du Front de gauche sont qualifiés de programmes « d’extrême gauche » (par tous les mous du cerveau et tous leurs serviles domestiques, comme on peut en trouver sans effort par grappe entière à l’UMP, par exemple Juppé, Copé, Fillon ou Bertrand), alors que, dans les années 30, on appelait ça le New Deal, ou le programme de Roosevelt, pardon, de Monsieur Roosevelt, siouplait.  Et ce que l’on nommait fascisme à l’époque de l’Art Déco est affublé aujourd’hui de sémillantes expressions impressionnistes, comme le marinisme ou la formation bleu marine.

Qu’est-ce que vous voulez, faut vivre avec son temps.

Voilà, c’est fini.  Je vous prie de bien vouloir excuser ces interminables babillages inutiles et je rends bien vite l’antenne au véritable sujet de fond du jour.  Il semblerait en effet que la compagne du Roi (la première Dame, comme ils s’acharnent à dire dans la petite boite propagandiste du salon, alors qu’ils savent pertinemment que ça m’énerve au plus haut point, c’est comme quand ils mettent leur main droite sur leur cœur gauche pendant l’hymne national, le Star Spangled Banner, nan ? c’est pas ça le nom de notre hymne, merde, j’me suis laissé hypnotiser moi aussi), … où en étais-je … ah ouais … il semblerait donc que l’épouse du Roi ait exprimé, au travers d’un moyen technique moderne qui me dépasse (un Tweet, que ça s’appellerait, ou un Twitt si on se fie à Twitter), une opinion différente de celle du Roi.  Oula, alors ça, faut pas laisser passer !  C’est du trop lourd.  Déjà, qu’elle s’échappe de devant ses fourneaux élyséens me semble totalement malséant, qu’elle se permette de l’ouvrir, et en public, qui plus est, là, on frôle l’impertinence tout de même, vous me l’accorderez, mais qu’elle ose faire fonctionner ses propres neurones à l’insu du plein gré de son mâle dominant, alors là, quelle insolence !

Non mais franchement, dans quel monde vit-on !

😉

6 Replies to “Syriza m’était conté”

  1. @Yveline
    « avez vous remarqué que le fumigène de la “compagne” a astucieusement estompé la rencontre du monarque avec Monti ? »
    Et pis y’a aussi l’épisode de Martine à la Rochelle. Néanmoins, ce matin, les chaines d’info continues ont commencé à parler plus longuement des élections législatives en Grèce. Sur la ligne éditoriale que l’on connait, bien sûr: attention, peur, brrr, Syrisa, extrême gauche, anti-eurpéens, pauvres allemands qui payent pour les fainéants, etc … Mais quand même …
    Salut et à bientôt

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  2. Coucou me revoilou
    Oui, j’avais promis de me taire jusqu’après le pour le second tour, mais je ne tiens plus..
    D’abord merci pour tous ces excellents articles que j’ai passionnément suivis, et particulèrement pour le dernier porteur d’espoir. Enfin on espère, on veut y croire. D’une circonscription voisine d’Henin Beaumont, j’ai mal à notre « vraie gauche » et aussi un peu peur pour les grecs. Certes le programme de SYRISA comme celui du FG sont les seuls à répondre au refus de se laisser dévorer par l’hydre. Mais elle est dangereuse…( avez vous remarqué que le fumigène de la « compagne » a astucieusement estompé la rencontre du monarque avec Monti ?) Que le PS-light soit capable de toutes sortes de magouilles n’est pas un scoop, mais on n’accepte jamais de se faire rouler…
    A tous les partageux qui aiment le regard perçant posé par H Guillemin sur l’ Histoire Contemporaine, je signale qu’ Annie Lacroix-Riz (taper « annie lacroix-riz  » sur google) fait une étude très fouillée des archives récentes auxquelles Guillemenin n’avait pas accès. Attention :analyse d’une pertinence politiquement connotée !
    Salut et fraternité

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  3. @Les partageux
    « si tu ne les as déjà vu bien sûr, c’est de l’ordre de l’obligation pour tout homme de Gauche ! »
    J’en ai vu quelques unes mais, je suis allé voir le lien que tu as fourni et il y en a tellement que je n’ai pas vues ! J’ai du cinéma en retard, je crois. Va falloir que je dégage encore quelques heures.
    Merci à toi.

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  4. Salut salut
    Juste un petit message sans aucun lien avec Syriza (dont le pari dera gagné s’ils récupèrent les 50 sièges de bonus) pour te dire que l’Histoire dont tu parles mérite un onglet dans à ma télé ce soir: et je te propose une série (ou m^me plusieurs) d’Henri Guillemin (historien sublissime) racontant la commune, la troisisème République dans « l’autre avant guerre », … Tout y est dit: un éternel recommencement. Je te laisse le lien si ça t’intéresse: http://www.rts.ch/archives/dossiers/henri-guillemin/

    A défaut de le mettre sur ton très bon blog, et si tu ne les as déjà vu bien sûr, c’est de l’ordre de l’obligation pour tout homme de Gauche !

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  5. Merci pour ce bon papier didactique, pédagogique. La preuve par l’exemple qu’une construction politique proche du Front de Gauche peut prétendre au pouvoir

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